Fourcand Paul Émile 1819-1881
p. 324-327
Texte intégral
1Si Paul Émile Fourcand apparaît comme très représentatif de la bonne bourgeoisie bordelaise dans la seconde moitié du XIXème siècle, sa fortune, confortable sans plus, et la date récente de l’ascension de sa famille ne permettent pas néanmoins de le confondre avec les grands négociants de la bourgeoisie des Chartrons, à laquelle il n’est d’ailleurs pas lié. C’est sa carrière professionnelle et ses opinions libérales qui le hissent au premier rang de la cité et lui permettent de parfaire sa réussite par un parcours politique de notable républicain.
2Né le 14 mars 1819 à Bordeaux, il appartient à une famille protestante, nouvellement émigrée du Massif Central (région de Saint-Affrique en Aveyron) et dans laquelle les alliances matrimoniales jouent un rôle important. Son père, Paul Antoine Fourcand (1785-1855), gros marchand droguiste fixé à Bordeaux où il figure sur les listes du cens à partir de 1835 pour 750 francs, doit une partie de sa fortune à son mariage avec Catherine Pauline Monsarrat (1788-1865) qui le lie à la riche famille des Monsarrat, marchands bordelais originaires de la région de Castres (Tarn), où une partie de la famille détient d’importants intérêts industriels et commerciaux. Fille de Jean-Pierre Monsarrat, marchand en gros, Catherine Pauline apporte 6 000 francs de dot. Le jeune couple va s’installer chez son parent Simon Monsarrat – propriétaire d’un hôtel rue du Loup à Bordeaux et de plusieurs immeubles. A sa mort en 1843, Simon leur lègue la maison qu’ils habitent. Catherine est en outre la sœur de Pierre Jean Monsarrat, célibataire, grand propriétaire foncier – château de Paillet, plusieurs îles sur la Gironde et des immeubles à Bordeaux et Royan – dont elle héritera plus de 100 000 francs. A leur mort, Antoine et Pauline Fourcand laissent respectivement des fortunes de 151 000 et 211 000 francs que se partagent leurs trois enfants ou leurs ayant droits. Leur fils Émile, légataire à titre de préciput d’un quart de la succession de son père, hérite ainsi de près de 100 000 francs. Au mariage, son épouse, Anne Zélie Faure-Larivière (1824-1885), fille d’un gros propriétaire du Tarn, apporte en dot par avancement d’hoirie un domaine vendu peu après 87 728 francs. Or, à son décès, le sénateur laisse pour 111 000 francs de valeurs avec un passif d’environ 15 000 francs. Le tout, après que la veuve a exercé ses droits, est insuffisant à couvrir les reprises de la succession, représentant les apports d’Émile Fourcand au mariage (40 000 francs principalement en argent, marchandises et créances, et trois maisons) et les héritages de ses père et mère. De ce fait, sa situation sociale ne repose pas sur "l’honnête aisance", relevée par les préfets. Elle dissimule en partie une érosion manifeste de la fortune, largement sacrifiée à d’autres ambitions.
3La réussite d’Émile Fourcand est à rechercher bien plutôt du côté de ses capacités d’administrateur, de son entregent et de ses convictions. Après une scolarité au collège royal de Bordeaux et des études de droit (il est à noter combien la solidité de cette formation universitaire tranche avec les habitudes de la bourgeoisie traditionnelle du négoce bordelais), Émile Fourcand, qui a échappé au service militaire lors du tirage au sort de la classe 1839, se fixe à Bordeaux comme négociant en droguerie. En 1850, il se marie avec Anne Zélie qui lui donne deux enfants : Emmanuel, né le 11 juin 1851, futur avocat qui fera une carrière préfectorale, et Pierre, né le 5 novembre 1853, qui sera conseiller à la Cour de Bordeaux.
4Juge suppléant en 1851, Émile Fourcand remplit à partir de 1852 des fonctions de juge consulaire à la Cour impériale et de juge au tribunal maritime de commerce ; dorénavant, son influence ne cesse de croître. Initié en 1840 à la franc-maçonnerie dans la Loge "Essence de la Paix", il devient vénérable des "Amis réunis" en 1851. Il commence alors à s’engager dans l’action politique en défendant la Loge face aux pressions du pouvoir impérial, puis en se présentant contre le candidat officiel, le docteur Jacques Puydebat, aux élections cantonales de 1852 (troisième canton de Bordeaux) où il essuie un échec. En septembre 1859, l’administration préfectorale n’en dresse pas moins de lui un portrait élogieux et regrette qu’il se tienne trop à l’écart. De fait, dès le 25 août 1860, lors du second tour, il est élu en vingt-septième position conseiller municipal de Bordeaux. L’année décisive pour Émile Fourcand reste 1865, date à laquelle, après s’être fait porter à la tête de la Société philomathique pour deux ans, il organise et préside la XIème Exposition industrielle de Bordeaux. Le succès de cette manifestation, qui lui vaut les Palmes académiques (1865) puis la Légion d’honneur (décret du 8 août 1867), consacre sa renommée et en fait un des hommes les plus influents de la ville. En 1866, il est nommé directeur de la caisse d’épargne et entre au Consistoire protestant. Le sommet de sa carrière professionnelle est atteint avec son élection à la présidence du tribunal de commerce qu’il exerce de 1868 à 1872.
5A partir de cette époque, Émile Fourcand s’affirme à Bordeaux comme le chef du parti républicain et, soutenu au conseil municipal par son cousin Léon Urbain Fourcand (1806-1889), il est nommé maire le 23 avril 1870. Battu de très peu aux élections législatives du 8 février 1871 devant la poussée des monarchistes entraînés par Joseph de Carayon-Latour, il prend une revanche éclatante avec une série de victoires successives : dès le 30 avril, lors du premier tour des municipales, il est élu en tête avec toute la liste républicaine et conserve ses fonctions de maire ; les élections complémentaires du 2 juillet le repêche à l’Assemblée nationale avec 60 % des suffrages exprimés ; enfin le 18 octobre 1871, il est porté par le troisième canton de Bordeaux au conseil général dont il devient président. Profondément libéral et modéré, peut-être en partie favorable à certaines revendications de la gauche avancée, il cherche à éviter l’affrontement entre Versaillais et Communards et participe à une délégation du conseil municipal de Bordeaux envoyée à Paris en avril 1871. Mais, malgré trois entrevues avec Thiers et des démarches auprès de la Commune de Paris, la tentative de conciliation, qui aurait abouti, en cas d’ouverture de négociations, à une reconnaissance de l’organe insurrectionnel parisien, n’obtient aucun résultat. Les appels à l’union d’Émile Fourcand ont plus de succès à Bordeaux où, après un début d’émeute le 17 avril, il contribue, par ses discours apaisants, à éviter tout nouvel affrontement.
6Inscrit au groupe de la Gauche républicaine, il soutient Thiers le 24 mai 1873 et se prononce contre le septennat. Son engagement lui vaut d’être révoqué de ses fonctions de maire par le ministère de Broglie le 3 février 1874 et remplacé par le vicomte de Pelleport-Burète. Aussi l’élection d’Émile Fourcand au rang de sénateur inamovible le 14 décembre 1875 vient-elle récompenser un engagement précoce et actif en faveur de la République. Au plan national, il s’oppose à la dissolution de la Chambre prononcée le 16 mai 1877 et soutient ensuite les gouvernements républicains. Au plan local, après avoir retrouvé sa mairie en 1876, il la perd définitivement le 18 janvier 1878, au profit d’Albert Brandenburg. Dans un contexte de division des républicains, très attaqué pour son cumul des mandats, alors même que sa popularité décroît (aux élections municipales du 6 janvier 1878, il est réélu seulement en trente-troisième position), Émile Fourcand ne brigue plus les fonctions de maire ; il conserve néanmoins ses mandats de conseiller municipal et de conseiller général jusqu’en avril 1880 et janvier 1881 et se fait encore réélire à la tête du conseil général en 1879.
7Il décède à Tresse (Gironde), chez un ami, le 2 septembre 1881. La municipalité de Bordeaux, au nom des services rendus par l’ancien maire, vote à l’unanimité la prise en charge des frais de ses funérailles et rebaptise de son nom la rue Planturable qu’il habitait.
Bibliographie
Sources et bibliographie :
A.N. sérieB/7/67, dossier de juge consulaire E. Fourcand ; dossier Légion d’honneur 1011/39 ; rapports des préfets de la Gironde F/1bII/ Gironde/10 ;
A.D. Gironde, 1 M 786 et 822, dossiers de Légion d’honneur ; 1 N : P. V. des séances du conseil général, 1871-1881 ; 3 Q : mutations après décès (Bordeaux : 4899, E. Fourcand ; 2725, Anne Zélie de Larivière ; 4571, Antoine Fourcand ; 43, Catherine Pauline Monsarrat ; Cadillac : 11 429, Pierre Monsarrat) ; 3 E 34625, notaire de Mérédieu, succession d’E. Fourcand (13/9/1881) ; non coté, notaire Mathieu, succession de Simon Monsarrat (20/9/1827) ; non coté, notaire Grangeneuve, succession d’Antoine Fourcand (22/1/1856), de Pauline Monsarrat (13/10/1865) et Pierre Monsarrat (2/11/1859) ; 1 R 249, listes du tirage au sort et 1 R 754, procès-verbaux du conseil de révision, classe 1839 ; État-civil : A.M. Bordeaux et Saint-Affrique et A.D. Aveyron, Tarn et Gironde ; A.M. Bordeaux, P. V. des réunions du Conseil municipal ;
E. Lagrell, Annuaire général du commerce et de l’industrie de Bordeaux et du département de la Gironde, Bordeaux, Lafargue ; Réplique par M. Monsarrat contre M. le Préfet de la Gironde comme représentant de l’État, Bordeaux, Lavigne, 1842 ; L’indicateur de Bordeaux et Le Mémorial bordelais ; Revue philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, Bordeaux, Gounouilhou, 1863-1867 ; Journal La Gironde ; Johel Coutura, La Franc-maçonnerie à Bordeaux, XVIIIème-XIXème siècles, Marseille, éd. Jeanne Laffitte, 1978, 277 p. ; Louis Desgraves et Georges Dupeux (sous la dir.), Bordeaux au XIXème siècle, Bordeaux, imp. Delmas, 1969, 580 p. ; Edouard Ferret, Statistiques générales du département de la Gironde, Bordeaux, Ferret et fils, 1889, 3 vol. ; Étienne Ginestout, Histoire politique de Bordeaux sous la Troisième République, Bordeaux, Brière, 1946, XIV-458 p. ; J. Goasguen, "Les élections de 1871 et les manifestations de l’opinion publique en Gironde", Revue historique de Bordeaux, 1962, p. 193-227.
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