Les orientations de l’historiographie de droit privé entre 1850 et 1950
p. 237-255
Texte intégral
1 Les historiens du XXe siècle situent les débuts de l’histoire scientifique du droit autour de 1850. En réalité ils suivent une tradition qui remonte à cette époque-là. L’idée était très clairement exprimée dès la première parution de la Revue historique de droit français et étranger, en 1855, dans l’article qui servait d’annonce scientifique sinon de programme détaillé de recherche, sous la plume d’Edouard Laboulaye : De la méthode historique en jurisprudence et de son avenir. Après avoir fait référence à la thèse de doctorat très novatrice de Henri Klimrath, soutenue à la Faculté de droit de Strasbourg en 1833, il ajoutait : « grâce aux écrivains qui se groupèrent autour de Mr Wolowski et de Mr Foelix [...] on commence à considérer comme une science sérieuse ce qu’à l’origine on regardait comme une curiosité ». En même temps et dans une perspective au surplus très européenne1, il proposait d’orienter l’action de la revue dans de vastes territoires où la recherche ne s’était pas encore aventurée : le Moyen Âge demeurait en pleine obscurité ; il n’y avait rien sur l’histoire de l’ancienne procédure, pourtant une partie vivante du droit, rien non plus quant à l’histoire du notariat alors qu’il lui paraissait « honteux que la science du notariat soit abandonnée à la routine et n’ait point de place dans l’enseignement »2. Il considérait surtout que pour « le droit civil où toutes les théories ont été traitées par de fort savants hommes, le travail a quelquefois suppléé au défaut de documents ». C’était une manière élégante de dire que l’on avait bâti des théories à partir d’un jeu de sources trop étroit et que ce travail serait à reprendre sur des bases plus solides à la lumière de nouvelles recherches documentaires.
2À cela s’ajoutait qu’en matière civile tout particulièrement, au milieu du XIXe siècle on prenait du recul par rapport à l’ancien droit. Déjà s’achevait en quelque sorte une période transitoire après la promulgation du Code civil. De plus à l’avènement du Second Empire la codification napoléonienne, le plus souvent glorifiée mais parfois aussi critiquée pour des raisons politiques, suscitait plus que jamais l’analyse historique du nouveau droit pour en comprendre les bases. Sans doute vers la fin du XIXe siècle le code allait subir des remaniements et le vieillissement de ce monument apparaissait à travers la jurisprudence, même s’il n’a été relevé encore que bien timidement en 1904 dans le Livre du centenaire. Mais comme l’a écrit si bien Jean Carbonnier, face à l’instabilité politique de ce siècle le code civil est resté en quelque sorte la véritable constitution du pays et le mythe demeurait solide. Plus tard encore, entre les deux guerres, des juristes soulignaient plus vivement ce vieillissement mais l’on ne devait en prendre vraiment conscience au point de mettre en chantier une réforme du code, qui d’ailleurs n’aboutit pas, qu’à la sortie du second conflit mondial. Par là le milieu du XXe siècle apparaît bien comme la fin d’une époque ; la réflexion critique des historiens du droit s’affirmera alors quant à la justification de la périodisation traditionnelle de leur discipline qui leur opposait encore des barrières infranchissables en droit public comme en droit privé, et pas seulement du point de vue chronologique, en 1789 ou en 1804.
3Ainsi, de ce point de vue, c’est-à-dire par la référence à la codification symbolisant le droit contemporain, cette période d’un siècle de 1850 à 1950 apparaît comme assez homogène. Mais derrière cette sorte de façade conceptuelle entraient en scène bien des facteurs d’évolution. D’abord dans ce processus les influences de l’école historique allemande, à partir des travaux de Savigny, et de nouvelles disciplines, sociologie et comparatisme, ont été considérables. Si Laboulaye appelait de ses vœux un renouvellement des connaissances à travers d’amples campagnes documentaires, précisément le mouvement d’éditions critiques de sources commencé avec Beugnot ou Pardessus autour de 1840 se précipitait et l’édition Salmon des coutumes de Beauvaisis en 1899, texte phare s’il en fut, n’a été qu’un évènement marquant dans une série de publications de coutumiers ; à quoi il faut ajouter bien entendu les nombreuses transcriptions de cartulaires et, surtout pendant l’entre-deux-guerres, un intérêt nouveau à l’égard des archives notariales. D’autres nouveautés ont apporté une incitation à la recherche : création de concours organisé par l’Institut, créations de sociétés savantes et de revues. À vrai dire, la place de l’histoire du droit ne s’est précisée que lentement à travers les structures de l’enseignement, la matière du droit privé n’y trouvant qu’une modeste place en doctorat, même si la création d’une agrégation spécialisée par l’arrêté du 23 juillet 1896 avait inscrit au programme du concours une « leçon orale sur l’histoire du droit privé français ». En somme, pour rendre vraiment compte des orientations de la discipline durant cette période d’un siècle, entre 1850 et 1950, il faut commencer par analyser la référence conceptuelle datant du milieu du XIXe siècle, l’héritage (I), avant de rappeler toutes les recherches qu’il a abritées (II).
I – L’héritage conceptuel.
4L’écho que les travaux de Klimrath ont eu, comme le montre l’article de Laboulaye, incite véritablement à parler ici d’héritage. Klimrath a soutenu sa thèse intitulée Essai sur l’étude historique du droit et son utilité pour l’interprétation du Code civil en 1833 et, de là il a écrit deux ans plus tard un Programme d’une histoire du droit français. Il est mort très jeune et en fait ses travaux n’ont été connus que par la publication posthume assurée par Warnkoenig3 en 1843 avec la fameuse Carte de la France coutumière. Dans sa thèse ressortaient les idées de Portalis quand il affirmait que le législateur ne peut se soustraire totalement à l’élément historique et aux règles juridiques antérieures ; il posait même la question : « quelles si grandes innovations le code civil, par exemple, a-t-il introduites dans notre législation ? »4 D’où une pointe visant directement l’Exégèse : « C’est mal comprendre nos lois que de les isoler et de vouloir les interpréter par elles-mêmes lorsque tout le passé est là pour leur servir de commentaire et l’avenir de complément »5. L’Ecole historique allemande a eu le mérite de montrer en quoi consistait véritablement l’utilité de l’histoire politique comme de l’histoire du droit. Dès lors « l’histoire seule peut devenir la base d’une exégèse plus large, plus sûre, plus scientifique »6 ; elle est nécessaire pour une correcte interprétation du Code civil, encore plus nécessaire lorsque ce dernier se réfère aux usages généraux ou locaux, de même qu’il faut faire appel à l’histoire à propos des références à l’équité. C’est sur ces fondements qu’il a construit son Programme d’une histoire du droit français.
5Klimrath distingue histoire externe (sources et faits politiques et sociaux) et histoire interne (quant au fond du droit) reprochant précisément aux trois ouvrages contemporains dont on pouvait disposer en la matière de ne traiter que des sources. Or, pour que l’histoire du droit ait un sens il faut une histoire du droit français proprement dite et une « institution historique, au droit civil français » ; cela réclame deux conditions : faire une histoire vraiment scientifique et aboutir réellement au droit actuel. À partir de là se posent deux questions de délimitation quant à la matière et quant à la perspective historique. Quant à la matière, il précise les catégories de faits auxquelles cette histoire doit s’attacher avec une belle formule « tout le droit et rien que le droit » : c’est-à-dire le droit politique (constitutionnel et administratif), le droit civil (y compris le commercial et la procédure civile), le droit criminel (y compris l’instruction) et il ajoute une quatrième partie, le droit ecclésiastique ou droit canon, en soulignant l’importance de l’influence chrétienne. Quant au cadre chronologique, tout spécialement à propos du droit civil « puisque c’est de son interprétation par l’histoire qu’il s’agit », il faut remonter très haut pour le comprendre. Ainsi à partir, d’ailleurs, de vues pénétrantes prend-il l’exemple du droit des fiefs dont on ne saurait affranchir le juriste7. Dans la mesure précisément où le présent est un produit du passé, l’histoire du droit proprement français commence au moment où les divers éléments dont il découle se trouvent mis en présence au cinquième siècle. Ce qui s’est passé avant, en Gaule, n’est en somme que l’introduction à cette histoire. Dès lors bien que les transitions dans la réalité soient insensibles, il faut bien retenir quatre époques, celles de la France barbare avec l’Empire des francs (486-888), de la France féodale (888-1461), de la monarchie française (1461-1789), et enfin « l’époque qui est la nôtre et dont les destinées et le nom sont encore en partie le secret de l’histoire ».
6C’est donc un véritable schéma directeur que Klimrath a légué aux historiens du droit particulièrement pour le droit civil. Ses idées ont été reprises et développées par les auteurs qui ont écrit des ouvrages didactiques autour de 1850. En premier lieu ils se donnaient pour mission d’éclairer le Code civil car il avait atteint la perfection juridique qui est un aboutissement dans l’histoire de la civilisation, comme l’écrit Laferrière, inspecteur général des facultés de droit : « À l’époque de civilisation où nous sommes parvenus, l’élaboration du Droit civil s’est faite à travers les siècles et les révolutions sociales ; la vie rationnelle est acquise au Droit sans doute mais il est nécessaire de déterminer les époques qu’il a dû traverser pour arriver à ce degré de développement, à cette plénitude de résultats »8. Ainsi le Code, à l’entrée du dix neuvième siècle, a résumé les progrès de la société civile. Ginoulhiac, inaugurant à la Faculté de Toulouse pour l’année 1854-1855 le cours d’histoire du droit français en présence de Laferrière tient le même langage dans sa leçon d’ouverture : « Notre législation est comme un grand fleuve qui se forme de divers ruisseaux dont il réunit les eaux en un ensemble homogène »9. Il ne reste plus alors qu’à étudier les divers affluents en remontant le cours de l’histoire jusqu’à la source et la première constatation est bien que ce schéma directeur adossait les historiens au code civil ce qui à terme les écarterait de toute investigation sur la vie du droit civil après la codification. C’est bien ce que disait Ginoulhiac dès le début de cette leçon : « l’histoire du droit français n’est pas seulement une chose curieuse et intéressante à étudier ; elle est en même temps le préliminaire et le complément de l’étude de nos codes ».
7De la même manière, ces auteurs du milieu du XIXe siècle en énumérant tous les éléments qui ont contribué à la formation du droit exprimé dans le Code civil reprennent la périodisation retenue par Klimrath à partir de la question des origines du droit français qu’ils situent alors au Ve siècle. On insiste même lourdement sur l’importance de l’époque médiévale et le dédain dans lequel elle a été tenue, ce qui d’ailleurs rejoint l’engouement quelque peu romantique de l’époque pour le Moyen Âge. Giraud dans son Essai sur l’histoire du droit français au Moyen Âge, paru en 1846, écrivait que le caractère du Moyen Âge était comme oublié, incriminant la flexibilité de l’esprit français ; surtout avait été oubliée l’influence germanique dans le haut Moyen Âge au point de croire « au règne non interrompu des lois romaines et de regarder l’invasion germanique comme un accident sans conséquence. Tout favorisait cette erreur, ajoutait-il, la politique, la littérature et l’amour-propre national »10.
8À partir de là, la question de méthode était pour tous un débat obligé poursuivi dans la grande ombre de Savigny. D’abord, Giraud émettait une opinion sans doute assez répandue quand il en soulignait l’insuffisance encore dans un passé récent : « les juristes ont trop négligé la philologie, la philosophie et l’histoire, ce qui avait cependant fait la grandeur du XVIe siècle » ; il ajoutait cette réflexion quelque peu amère : « si nous demeurons en arrière, notre rôle sera bientôt réduit au rôle de professeurs de pratique judiciaire ». Déjà cependant une divergence semble se glisser entre Lafferrière et son disciple Ginoulhiac. Laferrière écrit : « Le temps est venu de sceller l’alliance dans les ouvrages français entre le droit, l’histoire et la philosophie, entre l’économie politique et les législations comparées : l’avenir de la science juridique, en France comme en Allemagne, est dans la grandeur de cette alliance »11 Ginoulhiac quant à lui est plus nuancé. Dans sa leçon inaugurale, ayant rappelé l’importance de la tradition universitaire toulousaine pour l’étude historique des lois il entend bien ne pas repousser les travaux des savants allemands tout en ajoutant : « mais tout en profitant de leurs recherches et de leurs découvertes, si nous ne pouvons oublier que la science n’a pas de patrie, nous n’oublierons pas non plus qu’elle doit revêtir des formes différentes appropriées à l’esprit particulier, au génie de chaque peuple. Plus spéculative en Allemagne, elle doit être en France plus pratique [...] Il faut surtout qu’elle éclaire les lois qui nous régissent aujourd’hui ».
9Sans nul doute il rappelait que pour les historiens du droit français le fondement demeurait une étude rigoureuse des sources en remontant de 1789 jusqu’aux plus anciens éléments qui étaient entrés dans l’alchimie du Code civil. Giraud, au début de l’Avertissement dans son Essai sur l’histoire du droit français au Moyen Âge, annonçait d’ailleurs une démarche assez répandue chez les auteurs du moment : « Je n’écris point une histoire du droit français, mais je réunis des matériaux pour ceux qui la voudront écrire. Je ne sais pas, en effet, si les sources et les monuments originaux sont encore assez exploités pour entreprendre un ouvrage de cette importance. J’ose dire que, malgré les travaux qui ont été déjà faits, le sujet n’est encore qu’ébauché... » De fait, l’histoire du droit privé tend à se réduire à celle des sources du droit.
10La présentation de ces idées générales et leur discussion se trouvent pour l’essentiel, ce qui est normal, dans les préfaces et avertissements des ouvrages didactiques. Mais il est alors remarquable que si ce schéma directeur couvre l’ensemble de l’histoire du droit, public et privé, les traditions d’enseignement ne font encore qu’une place bien mince à l’histoire du droit privé. La préface d’un ouvrage didactique paru en 1854, le Précis historique du droit français, Introduction à l’étude du droit, de Minier, avocat et professeur suppléant provisoire à la Faculté de droit de Poitiers, est fort révélatrice de cette tendance car l’auteur se réclame directement de l’œuvre de Klimrath. Après des définitions, des détails sur l’organisation judiciaire et l’étude du Titre préliminaire du Code Napoléon, son ouvrage est consacré à « un résumé de l’histoire du droit français » à partir des « riches matériaux fournis par les jurisconsultes et publicistes modernes » qui permettent de faire une analyse complète des sources du droit depuis l’invasion de la Gaule par les Francs jusqu’à la codification. « Mon livre, écrit-il encore dans la Préface, est plutôt une table raisonnée des matières qu’un exposé scientifique de l’ancienne législation ». Sa vision de l’école historique ne manque pas d’intérêt. L’école historique, en effet, a eu Cujas pour chef puis elle a été négligée en France tandis qu’elle se développait en Allemagne mais, écrit-il, « aujourd’hui cette science dont la France a été le berceau a repris chez nous sa part d’influence ». Il constate que si les anciens monuments de notre droit sont étudiés avec soin et mis largement à contribution par les commentateurs de nos codes, l’enseignement spécial de l’histoire du droit lui-même se régularise ; une chaire spéciale vient d’être créée à Paris et dans plusieurs autres facultés, grâce au zèle des professeurs suppléants, un cours d’histoire complète l’enseignement12. Mais il reste que son Précis historique traite essentiellement du droit public et que, dans chaque période, seulement quelques brèves sections sont consacrées à des questions relevant du droit civil.
11Si l’on s’en tient à l’aspect théorique tel qu’on vient de le voir, il n’y a guère d’évolution jusqu’au milieu du XXe siècle. Un demi-siècle plus tard, en effet, le schéma directeur inspiré par Klimrath sert toujours de référence et l’on demeure adossé au Code civil. La préoccupation essentielle est toujours d’explorer et comprendre le droit coutumier en tant que soubassement du Code civil. Ainsi, Beaune, ancien procureur général à la cour de Lyon, publie en 1880 une Introduction à l’étude du droit coutumier français jusqu’à la rédaction officielle des coutumes, ouvrage qui a fait autorité en son temps. Or il estime par cet « abrégé » sur les origines de la législation coutumière combler une lacune : « au moment où l’enseignement coutumier se fonde définitivement chez, nous et prend dans les programmes officiels la place que lui réservait depuis longtemps le vœu des jurisconsultes éclairés il a paru utile de condenser [...] les notions générales de ce droit »13. Et la question essentielle pour lui est de comprendre pourquoi la royauté n’a pas réussi à promouvoir l’unité du droit comme l’unité politique14. Dans cette optique il justifie le peu d’intérêt que l’on peut porter aux pays de droit écrit ; ils ont bien eu leurs coutumes locales à côté du droit romain et représentaient la moitié de la France mais c’est bien l’autre moitié à travers ses coutumes qui a été le creuset dans la formation du droit national15. Et sur ce point il représente bien une opinion générale dans les ouvrages didactiques qui se contentent surtout de rappeler l’existence des pays de droit écrit. Plus que jamais Joseph Brissaud. professeur à la Faculté de Toulouse, présente de son côté l’histoire du droit privé français comme celle d’une longue évolution qui a accompagné toute l’époque royale dans le « mouvement vers l’égalité civile » parachevé dans le Code civil. Dès lors, c’est ce mouvement qu’il faut analyser à travers toutes les composantes qui ont contribué à « parfaire l’œuvre considérable de notre ancien droit privé »16. Une fois encore, écrivant aux abords de 1900, Brissaud n’assigne pas d’autre perspective à l’histoire du droit privé que d’explorer les origines de la codification napoléonienne.
12Dans cette quête poursuivie inlassablement la question de méthode reste toujours présente. L’adhésion à l’école historique est quasi unanime. Une conception très sociologique apparaît chez Viollet, professeur d’histoire du droit civil et du droit canonique à l’Ecole des Chartes et bibliothécaire de la Faculté de droit de Paris. « Un peuple, écrit-il dans son Histoire du droit civil français, accompagnée de notions de droit canonique, n’est pas libre de transformer d’un jour à l’autre sa langue ou sa littérature ; il n’est pas maître de changer complètement son droit public ou privé [...] l’homme quoi qu’il fasse se débat dans son passé [...]. Le droit existant puise à la fois sa raison d’être dans l’histoire des peuples et dans la conscience des hommes. C’est un fait actuel qui découle en même temps et de faits antérieurs et de principes supérieurs à lui »17. Cela peut expliquer dans l’étude des sources du droit, d’une part, les remarques sur l’intérêt des formulaires qui représentent le droit mis en pratique, le droit vivant, et, d’autre part, le chapitre consacré aux textes coutumiers officiels18. Ajoutons l’influence de la méthode comparatiste, particulièrement chez Brissaud très largement héritier de Klimrath et très au fait de la science allemande, tendance accusée encore dans la réédition posthume de son ouvrage en 1935. On retiendra particulièrement de cet auteur, fait nouveau, une conférence prononcée vers 1903 devant une Académie (vraisemblablement l’Académie des Sciences et Lettres) de Toulouse sur l’Histoire du droit du Midi de la France. Il montre que les recherches sur cette question commencent à s’organiser, qu’un cours d’histoire du droit méridional vient d’être créé précisément à Toulouse et dont il a la charge ; il note un intérêt nouveau pour les nombreuses coutumes méridionales « dont les anciens jurisconsultes faisaient fi parce qu’il heurtait la raison écrite, leur unique culte ». On retrouverait là, peut-être, une conséquence de l’importance attachée au droit coutumier dans l’histoire du droit français.
13La méthode en revanche est quelque peu en débat à propos du vieux fonds germanique dans les origines du droit privé français. En 1889 dans un compte-rendu de l’édition critique des Etablissements de saint Louis par Viollet, Dareste reproche à cet auteur de dépasser le cadre de ce genre d’édition en ajoutant une recherche sur les influences subies par les institutions décrites dans ces textes. Plus précisément, d’une part, si l’on ne peut nier l’importance de l’élément germanique il faut se garder d’en exagérer l’importance : « une certaine école considère comme germanique tout ce qui ne se trouve pas dans le Corpus juris civilis ni dans le Corpus juris canonici. C’est selon nous aller beaucoup trop loin ». Il affirme d’autre part, que les sociétés humaines créant ou modifiant leurs institutions suivant leurs besoins, les mêmes causes produisent partout les mêmes effets si bien que « les questions d’origine et de filiation des institutions ont tenu jusqu’ici une trop grande place dans l’étude historique du droit » et qu’il « convient de s’élever à une conception plus large et plus vraie qui est celle du droit comparé »19.
14Enfin quant aux perspectives chronologiques, elles n’ont guère variées jusqu’au milieu du XXe siècle. Tous les auteurs d’ouvrages didactiques, manuels ou grand traités, n’envisagent pas de dépasser le début du siècle précédent ; la seule question est de savoir si l’on intègre la Révolution et l’Empire et donc le droit intermédiaire. Esmein avait publié en 1892 un Cours élémentaire d’histoire du droit français à l’usage des étudiants de première année, et expliqué dans la préface qu’il avait arrêté ce cours à 1788 ajoutant que la période de la Révolution et de l’Empire était trop importante pour être résumée ; il a ajouté en 1911 un Précis élémentaire de l’histoire du droit français de 1789 à 1814 quand le cours de première année est devenu annuel, mais il en est resté à l’histoire du droit public. En 1925, Declareuil, professeur à la Faculté de Toulouse, arrête son Histoire générale du droit français en 1789 et précise (Préface, p. VIII) qu’il n’a pas traité « les parties du droit privé qui ne sont pas comprises dans l’enseignement ordinaire de première année » devant l’énormité de la tâche. Olivier-Martin dans la préface de son Histoire du droit français des origines à la Révolution, parue en 1948, livre des réflexions désabusées montrant d’ailleurs le poids des structures d’enseignement dans les perspectives traditionnelles de la discipline : il n’a pas pu se résoudre à sacrifier les institutions privées en les limitant à la condition des personnes et des terres, mais il n’a pu davantage « faire siens les amples desseins de Paul Viollet, de Joseph Brissaud ou d’Emile Chénon ; il s’est borné aux indications générales qui lui ont paru indispensables pour expliquer le contexte même de l’ancienne société française et ses rapports avec l’Église ». Et de conclure que « l’histoire des institutions anciennes soulève de multiples problèmes qui sont tous, sous quelque aspect, d’un grand intérêt pour la compréhension parfaite du droit moderne ». Mais il avait bien précisé préalablement que les structures de l’enseignement limitaient à tort le champ historique en écartant les historiens du droit de la matière des institutions du XIXe siècle20. Mêmes réflexions dans les cours de doctorat de Pierre Petot : selon le programme officiel le cours de première année devrait porter sur l’histoire du droit public et privé, mais l’enseignement se limite à une partie minime du droit privé (état des personnes et modes d’appropriation du sol), celle qui est directement en rapport avec l’évolution du droit public21. Au surplus la place du droit romain pouvait s’expliquer par son importance mais en regard la place de l’histoire du droit privé français était très mince, puisqu’il n’apparaissait que dans les cours de doctorat ; or « on ne saurait parvenir à une saine compréhension des règles du droit privé contemporain sans remonter à l’ancien droit, au droit laïque pour la plupart des questions et pour quelques-unes d’entre elles au droit canonique »22.
15En somme, ainsi présentés vers le milieu du XXe siècle les cadres traditionnels de l’enseignement sont alors considérés comme un frein au développement de la discipline. Il faudra attendre 1954 pour une profonde réforme des programmes plus favorable à l’histoire du droit privé en lui ouvrant les perspectives du XIXe siècle. Pourtant sous cette apparente immobilité de l’orientation générale le terrain avait été défriché durant ce siècle (1850-1950) par de nombreuses et importantes recherches.
II – L’essor des recherches.
16En effet, particulièrement entre 1880 et 1950, l’apport a été considérable. Il faut même réintégrer à l’actif de cette période des ouvrages très importants : d’Henri Regnault, Les Ordonnances du chancelier Daguesseau, ou de Jean Yver, Egalité entre héritiers. Car ces ouvrages, victimes l’un et l’autre d’un malheureux concours de circonstances et publiés plus de vingt ans après qu’ils aient été conçus et rédigés23, relèvent effectivement de la première moitié du XXe siècle en lui apportant une sorte de brillant épilogue. Ensuite, avant d’aborder l’évolution des travaux de recherches autour des institutions de droit civil il convient également de rappeler que le cadre lui-même dans lequel ces travaux ont été effectués et qui pouvait les accueillir pour les faire connaître, s’est sensiblement modifié durant cette période d’un siècle entre 1850 et 1950.
17Ainsi parmi les facteurs qui ont alors contribué au développement de l’historiographie de droit civil figurent au premier plan les éditions critiques de sources, de plus en plus nombreuses et variées. On ne saurait d’ailleurs les considérer à l’écart car elles relèvent d’une véritable recherche, une recherche documentaire certes mais qui n’en contribue pas moins à élargir l’horizon de l’historiographie. Particulièrement pour les plus notables coutumiers, de telles éditions ont occupé toute la fin du XIXe siècle, se succédant rapidement en une liste considérable : le Conseil à un ami en 1846, le Livre de Jostice et de plet en 1860. le Grand coutumier de France en 1868, les Etablissements de saint Louis entre 1881 et 1886, le Très ancien coutumier et le Grand coutumier de Normandie entre 1881 et 1903, le Coutumier d’Artois en 1883, la Très ancienne coutume de Bretagne en 1896, et bien sûr les Coutumes de Beauvaisis en 1899. Or la même période d’une trentaine d’années entre 1880 et 1910, a été prolifique pour les publications de sources dans l’ensemble de la France, à la fois pour les pays coutumiers et pour les régions méridionales de droit écrit. On avait déjà commencé au milieu du XIXe siècle à éditer des documents coutumiers médiévaux du Midi comme Giraud dans son Histoire du droit français au Moyen Âge en 1846, notamment la coutume de Montpellier et les coutumes qu’elle a fortement inspirées. Mais la fin du siècle, avec notamment le Livre des coutumes de Bordeaux par H. Barkhausen en 1890, et le début du siècle suivant, en un mouvement il est vrai très atteint par les conséquences du conflit de 1914, ont vu également d’importantes publications documentaires d’une densité dont le Languedoc est ici exemplaire, particulièrement par référence aux éditions de coutumes et de cartulaires24.
18De même, on ne saurait attacher trop d’importance à cet autre élément tout à la fois suscité par le développement des recherches et constituant, en retour, un facteur d’entraînement : l’apparition d’associations se donnant pour vocation d’accueillir des travaux d’historiens de quelque horizon qu’ils viennent. Ces institutions créaient ainsi, par la périodicité de leurs réunions, un cadre où pouvaient être présentées de nouvelles recherches. Elles avaient en même temps la préoccupation d’assurer des publications et, même si elles avaient un cadre très large et de faibles moyens, l’histoire du droit privé en a bénéficié. Rappelons en premier lieu la naissance de la Société d’histoire du droit créée à la veille de la Grande Guerre, en avril 1913. Cette société entendait mettre en œuvre un projet ambitieux qui restait d’abord orienté vers les publications de sources25. Mais sa vie n’a véritablement commencé qu’en 1920 tandis qu’elle se donnait alors pour vocation de susciter et publier des travaux de recherche26. En 1925, elle créait à côté des séances ordinaires tenues à Paris durant l’année universitaire les premières Journées internationales d’histoire du droit et seule cette organisation a subsisté. En fait, ce phénomène d’incitation à travers des associations d’historiens et des revues était apparu dès 1900 dans un cadre régional, en Bourgogne avec la création d’une Société de professeurs et d’anciens élèves de la Faculté de Droit de l’Université de Dijon. De là était née la Collection d’études relatives à l’histoire du droit et des institutions de la Bourgogne, collection interrompue à partir de 1914 ; l’entreprise devait être relancée par Chevrier et Dumont entre les deux guerres27. Date de 1910 encore la Semaine de droit normand où nombreuses ont été les communications d’histoire du droit privé. De même naissent en 1910 la Revue du Nord, puis en 1929 la Société d’histoire du droit des pays picards, flamands et wallons qui a publié en 1932 l’édition du Livre raisin par R. Monier. La période de 1850 à 1950 a vu enfin, en 1946, la création de la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit et de son Recueil de mémoires et travaux.
19Un dernier élément sera retenu ici, l’existence de prix pour couronner des travaux de recherche dont un exemple célèbre est l’attribution par l’Académie des sciences morales et politiques du prix Odilon Barrot en 1912, à l’issue du concours ouvert sur le sujet : « Histoire d’une coutume générale ou d’un groupe de coutumes locales » ; ce prix fut attribué à Olivier-Martin pour son mémoire sur l’histoire de la coutume de Paris28.
20Abordons alors l’histoire des institutions du droit civil elles-mêmes. Cette historiographie s’est considérablement enrichie surtout entre 1880 et 1950. Sans doute ne peut-il être question ici d’en dresser un catalogue détaillé29 mais seulement de donner quelques exemples selon un choix nécessairement arbitraire. Mais, d’un côté, il convient de souligner que les monographies dans ces divers domaines se sont multipliées, qu’elles traduisaient la volonté d’utiliser la thèse de doctorat comme instrument de défrichement et que dans ce cadre on a commencé à orienter les investigations vers les actes de la pratique ajoutant désormais aux documents réunis dans les cartulaires des actes découverts dans les riches archives notariales plus ou moins anciennes suivant les régions. Et, d’un autre côté, il faut également rappeler l’importance de l’édition des cours de doctorat professés à la Faculté de droit de Paris ; ces cours constituaient autant de synthèses qui ont longtemps servi de références30. On retiendra de l’évolution de cette historiographie trois caractères principaux. D’abord d’un point de vue institutionnel, l’aire de recherche s’est considérablement étendue et le mouvement s’est précipité entre les deux conflits mondiaux. En second lieu, dans l’approche du droit coutumier la méthode a notablement évolué. Enfin, venant d’ailleurs en grande partie des historiens méridionaux eux-mêmes, un renouvellement profond des recherches a provoqué une véritable découverte du droit pratiqué dans les pays de droit écrit.
21En premier lieu, l’intérêt s’est porté vers un plus grand nombre d’institutions de droit civil, aussi bien d’ailleurs pour les pays de droit écrit que pour les pays de coutumes, pour dépasser le statut des personnes et celui des biens dont l’étude, comme le répétaient volontiers les historiens de cette époque, n’avait guère d’autre but jusque-là que d’éclairer les structures sociales de la période médiévale en rapport direct avec les institutions de droit public, essentiellement la féodalité. Dès lors c’est l’histoire de la famille31, du lien matrimonial et de tous les aspects patrimoniaux de la vie familiale, à la fois matrimoniaux32 et successoraux33, qui devient le thème majeur, thème retenu pour lui-même et considéré au surplus dans son évolution jusqu’à la fin de l’ancien droit. Dans ce domaine un exemple d’institutions venant alors en pleine lumière est celui des communautés de famille qui retenaient l’attention des sociologues autour de Le Play dans la seconde moitié du XIXe siècle34. Les historiens du droit privé dans les pays de droit écrit, de leur côté, commençaient à s’attacher également aux aspects juridiques très spécifiques des communautés méridionales35. Sans pouvoir reprendre ici les amples orientations bibliographiques dont on peut disposer actuellement et visées ci-dessus, rappelons simplement que de nombreux ouvrages, spécialement des thèses, ont alors porté un regard nouveau, plus scrutateur, sur le mariage spécialement en droit canonique, le sort des individus dans la vie familiale à partir d’investigations sur la tutelle, la condition de la femme mariée, la séparation des conjoints et ses conséquences, enfin et surtout sur le sort du conjoint survivant, particulièrement de la veuve. De la même manière était davantage fouillée l’histoire du droit des biens. On s’efforçait d’éclairer les origines de la division des biens en meubles et immeubles36 comme les catégories particulières de biens37, de faire la théorie du domaine divisé38 et d’explorer les démembrements de la propriété en longue période39 ; ou bien encore le partage des communaux40 a retenu un temps l’intérêt. L’attention se portait aussi sur la saisine et l’introduction des actions possessoires de même que sur la notion de droit réel41. La même extension du champ de recherche apparaît également à travers les thèses en matière d’obligations et de contrats42.
22Le second caractère, majeur, de cette historiographie, est l’évolution profonde dans l’approche du droit coutumier. Il convient de rappeler qu’à partir des années 1880 et encore dans les premières années du XXe siècle, les monographies correspondaient assez souvent à une sorte d’inventaire des institutions considérées dans l’ensemble des pays coutumiers et même plus largement encore. Ainsi des études sur les contrats dans le très ancien droit français de Esmein en 1889, les études de Lefebvre sur le droit matrimonial français, ou encore par exemple l’étude de Auffroy en 1889 sur l’évolution du testament en France des origines au XIIIe siècle43. Il s’agissait d’essais de synthèse très larges et peut-être était-il encore nécessaire de procéder de cette manière pour aller plus loin. Or dans le même temps, comme on l’a vu, des études régionales se sont multipliées ; le premier foyer de ces études a été la Normandie, surtout à partir des années 1900, suivi par l’active historiographie bourguignonne. Et il faut encore souligner qu’à partir de cette époque également deux publications majeures ont fourni et pour longtemps des références obligées dans toute étude de droit coutumier : l’édition critique du coutumier de Beaumanoir en 1899 et l’Histoire de la coutume de Paris entre 1922 et 1926.
23En fait, s’organisaient peu à peu des éléments susceptibles de provoquer une rénovation de la méthode et de l’orientation des recherches sur la nature et le contenu du droit coutumier. Cela appelait une mise au point et précisément une publication a fait date, en 1926, parce qu’elle était fondée sur une profonde réflexion clairement exprimée sur ce sujet : la thèse de Jean Yver sur Les contrats dans le très ancien droit normand (XIe-XIIIe siècles). L’introduction comporte, en effet, un véritable manifeste sur la recherche qui l’oppose à l’ouvrage écrit quarante ans plus tôt par Esmein sur les contrats dans le très ancien droit français. Pour J. Yver l’inventaire des principes énoncés dans les grands coutumiers avait été fait depuis longtemps mais il devait être revu à la recherche de l’évolution juridique à partir d’une rigoureuse méthode44 : d’un côté, les coutumiers devaient être avant tout étudiés en eux-mêmes en les confrontant aux actes de la pratique car, tandis que les coutumiers sont des points isolés dans le temps les documents de la pratique forment une chaîne continue ; d’un autre côté, au moins à partir du XIIe siècle, ces coutumiers devaient d’abord être considérés dans leur cadre régional, cela sans idée préconçue avant toute comparaison avec les textes coutumiers des régions voisines. Dans cet esprit, il ne fallait pas passer tous les textes de coutumes sous la toise de Beaumanoir et il était également bien aléatoire de chercher systématiquement des effluves Scandinaves dans le droit normand. C’était seulement à partir d’études régionales que l’on pourrait un jour élever une théorie générale des contrats. Le but était double dans cette recherche, combler une lacune dans l’histoire du droit normand et participer à la construction d’une histoire des contrats en droit français. En tout cas c’est bien dans ce sens que s’est orientée l’historiographie du droit civil entre les deux guerres.
24Enfin, le troisième caractère de l’historiographie, surtout entre 1880 et 1950, est l’exploration nouvelle du droit des régions considérées comme pays de droit écrit. Cette découverte n’a vraiment commencé que relativement tard, vers la fin du XIXe siècle, et sans grand tapage. Elle commence surtout, après des publications de sources, coutumes urbaines et cartulaires, par les travaux autour de la question de la résurgence du droit romain : ce droit s’était-il maintenu ou non entre les invasions et le XIIIe siècle ? Ainsi peut être considéré comme précurseur l’ouvrage de Flach en 1890, là aussi en liaison avec la science allemande autour de l’idée évolutionniste admettant l’éclipse du droit romain et son renouveau sous l’effet d’une civilisation nouvelle au XIIe siècle45. Suivront autour de 1900-1910 les travaux de Meynial, et aussi de Caillemer, pour la même période sur l’influence du droit savant dans la pratique méridionale à partir de l’idée d’une « invasion » du droit romain46.
25Déjà les travaux de Jarriand avaient ouvert de nouveaux horizons sur les pays de droit écrit, en particulier à propos de la matière successorale47. Dans le même temps, commencent à propos des institutions de la famille dans leur ensemble des études régionales, menées à partir de la pratique notariale. Ces études émanant d’ailleurs souvent d’érudits locaux demeurent encore des travaux peu considérés pour leur apport à l’histoire juridique48. Mais l’ouvrage pionnier, en tant que modèle du genre orientant les recherches futures, est la thèse d’Auguste Dumas, en 1908, sur le droit des gens mariés en Périgord49. Dans sa Préface, en quelques pages très claires, il posait la question fondamentale à propos de la manière dont l’historiographie du droit civil abordait la division en pays de coutumes et pays de droit écrit dans l’ancien droit. Jusque-là les historiens ne se sont intéressés qu’aux pays coutumiers pour éclairer le droit contemporain tandis que les romanistes ne se sont attachés qu’à la période la plus obscure, des invasions barbares à ce que l’on appelle la résurgence du droit romain, à la recherche d’une éventuelle continuité. « Il vaudrait mieux étudier une période pour laquelle on a plus de renseignements et qui. peut-être pour cela est dédaignée par les historiens », entre le XIIe siècle et la Révolution, car ce ne sont pas les juristes savants (glossateurs et postglossateurs) « qui nous montrent comment se passaient les choses dans la réalité. On ne s’est jamais demandé comment au Moyen Âge et dans les Temps modernes le droit romain s’accommodait aux nécessités de la pratique ». Dumas développait alors un plaidoyer très argumenté sur la nécessité d’exploiter largement l’énorme gisement documentaire des archives notariales50 pour faire avancer les connaissances sur l’évolution juridique des pays de droit écrit et le véritable rôle qu’y avait joué le droit romain51. De là il proposait une méthode, celle d’une accumulation de monographies particulières comme celle qu’il présentait avant de tenter une synthèse pour l’ensemble de la France méridionale.
26De la même veine relèvent les recherches de Roger Aubenas. Sa thèse sur les testaments en Provence publiée en 1927, d’ailleurs quasiment contemporaine de celle de Yver sur les contrats dans le très ancien droit normand éditée en effet l’année précédente, est fondée sur deux idées maîtresses : d’une part, il faut selon la tendance contemporaine multiplier les monographies régionales sans sacrifier à l’esprit de système52 ; d’autre part, les testaments sont le reflet de chaque époque d’autant que tout le droit familial y est passé en revue. Ses études sur le notariat provençal poursuivaient un but complémentaire pour montrer non seulement l’intérêt de la pratique notariale mais aussi l’importance d’une source si énorme. Car l’historiographie méridionale suivait ici, en quelque sorte par la force des choses, une démarche différente et presque inverse de celle des pays de coutumes. Dans ces dernières régions en effet on partait des grands coutumiers pour tenter de comprendre, avec l’appoint des seules sources pratiques fournies par les cartulaires pour le Moyen Âge, les principes qui y étaient énoncés. À l’inverse, ne disposant pas de coutumiers régionaux mais seulement de textes coutumiers urbains où les dispositions de droit privé n’étaient qu’exceptionnellement étendues, les historiens des pays de droit écrit ont été quasiment contraints de fouiller les riches archives médiévales de la pratique notariale pour tenter, comme l’avait fait A. Dumas, d’y découvrir les principes juridiques qui y étaient suivis. Dans une Etude sur le notariat provençal au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime (Aix en Provence, 1931) Aubenas présentait une histoire de l’institution notariale indispensable pour explorer et pénétrer plus sûrement ses archives53 ; en 1935 il publiait un recueil de Documents notariés provençaux du XIIIe siècle, comportant entre autres l’édition d’un formulaire. Il insistait alors sur le fait que si les historiens du droit privé reconnaissaient désormais l’intérêt des archives notariales l’exploration de cette source n’en était encore qu’à ses débuts tandis que dans les pays de coutumes également des auteurs avaient étudié le droit privé à la lumière des registres notariaux de l’époque moderne54.
27Un pas de plus a été franchi par Paul Ourliac avec sa thèse consacrée en 1936 à un jurisconsulte, Etienne Bertrand, dont l’œuvre faisait connaître l’état du droit appliqué en Provence à la fin du XVe siècle55. Le but ici, parfaitement atteint, était d’éclairer directement les rapports parfois très subtils entre pratique et droit savant, pratique et doctrine. Or l’intérêt de cette recherche était encore plus grand à la fois à travers l’importance qui avait été attachée sur le moment à l’œuvre de Bertrand par les grands juristes des pays coutumiers mais aussi en considération de l’oubli complet dans lequel cette œuvre était tombée assez rapidement ; cet oubli s’explique en réalité par le succès du mouvement romaniste historicisant des juristes du XVIe siècle relayé par l’action des parlements qui délaissaient le droit romain tel qu’il était compris par les contemporains pour revenir au droit romain pur ; « il y eut désormais, concluait Ourliac, entre le droit méridional et le droit coutumier tel qu’il fut figé par les rédactions officielles, une différence profonde qui n’avait jamais existé auparavant »56.
28En somme, l’historiographie concernant les pays de droit écrit avait fait entre 1920 et 1950 des progrès considérables. Cependant on n’en avait pas encore parfaitement pris conscience en dehors des régions concernées. Le droit des pays dits de droit écrit demeurait, sinon toujours du moins fort souvent, considéré comme d’un intérêt mineur face au droit coutumier étudié, quant à lui, en tant que source essentielle du code civil. L’amertume de Roger Aubenas était extrême de s’être entendu conseiller, dans les années trente pour approcher mieux le concours d’agrégation, d’abandonner ses études sur les notaires provençaux et leur pratique. On avait ajouté : « Au sud de la Loire, cela ne nous intéresse pas... » Plus tard, à la fin des années cinquante, Jean Yver voyait les choses différemment quand il disait : « Vous avez de la chance dans le Midi de posséder des archives notariales si riches pour le Moyen Âge », une réponse, facile il est vrai, venait à l’esprit : « l’absence de coutumiers régionaux est-elle une malchance ? ». Elle suscitait en tout cas un passionnant échange de vues.
29En conclusion, il n’est pas excessif de considérer que la recherche durant cette période d’un siècle, 1850-1950. a été très féconde. Cette sorte de schéma directeur hérité de Klimrath a pleinement joué son rôle, car il est dans la nature de ce genre d’exercice d’offrir un cadre nécessaire, une hypothèse de travail pour servir de référence mais destinée à être remise en question à la suite de nouvelles prospections.
30Sans doute en 1950 ce schéma directeur était-il dépassé sinon complètement périmé. Mais des textes de cette époque ont à leur tour esquissé une nouvelle hypothèse de travail pour l’histoire du droit civil avant la codification à la fois sur le fond et sur la méthode. D’abord on peut retenir l’article célèbre de Pierre Tisset intitulé Mythes et réalités du droit écrit, paru en 1959. Puis l’introduction de Jean Yver à son ouvrage Egalité entre héritiers écrite au moment ultime de la publication en 1966, en était le pendant pour le droit coutumier, pour une autre histoire de ce droit. Enfin à ce texte fondateur de Jean Yver et dans les mélanges qui lui étaient consacrés en 1976 répondait un article de Paul Ourliac, avec l’intelligence fulgurante qui était la sienne, sur L’esprit du droit méridional.
31Mais depuis bientôt un demi-siècle notre historiographie s’est encore enrichie et a évolué ; la question est alors posée de savoir si la mise en forme d’une nouvelle hypothèse de travail, d’un nouveau schéma directeur ne serait pas opportune désormais. Il faudrait, en effet, tenir compte en premier lieu de ce que le verrou de la Révolution et de la codification napoléonienne a sauté sous le poids de l’histoire et ouvrir de nouvelles perspectives. De même faudrait-il considérer globalement l’ensemble du droit privé en intégrant dans ce schéma à côté du droit civil la matière commerciale et la procédure, voire le domaine pénal. Enfin faudrait-il apporter une réflexion sur la méthode depuis la révolution informatique. Pour emprunter un extrême raccourci, l’informatique a fourni un merveilleux instrument pour mieux maîtriser la documentation mais le chercheur doit toujours la dominer ; disons-le brutalement, un « fromage » ne saurait être en aucun cas pour l’historien un alibi pour ne pas penser.
Notes de bas de page
1 RHDFE, t. I, p. 22, n° 41 : « Nous ne rêvons pas un même code pour toute l’Europe, non plus qu’une même langue ; mais nous sentons que la part de diversité se réduisant de jour en jour par le mélange inévitable des peuples, il y aura un fonds commun de législation qui grossira sans cesse et qu’à ce rapprochement nul ne peut assigner des limites. La propriété littéraire est la première question qui se présente dans ce nouveau « jus gentium » [...] mais la lettre de change, mais la loi commerciale tout entière et la loi civile même vont se ressembler de plus en plus par l’effet naturel du mélange des intérêts. De ce point à une certaine unité du droit civil et même du droit politique il y a moins loin qu’on ne l’imagine et nous sommes destinés sans doute à voir la législation prendre partout un caractère plus général, plus européen, plus humain. Ces idées devaient orienter, selon lui, l’action de la revue et lui ouvrir un vaste champ de recherche ».
2 Ibid., p. 17, n° 32 : « Personne non plus, que je sache, n’a étudié l’histoire du notariat et ne s’est demandé s’il y avait quelque intérêt à suivre les variations de ces formules qui contiennent la plupart des contrats [...] Il ne nous est plus permis de laisser de côté une source semblable et, à vrai dire, il est honteux que la science du notariat soit abandonnée à la routine et n’ait point de place dans l’enseignement ».
3 Travaux sur l’histoire du droit français par feu Henri Klimrath, recueillis par L.A. Warnkoenig, avec une Carte de la France coutumière, Paris, 1843.
4 Essai sur l’étude historique du droit et son utilité pour l’interprétation du code civil, 1833, p. 13.
5 Ibid., p. 6
6 Ibid., p. 14
7 Ibid., p. 109 : « Vous vous appuyez dans vos commentaires sur la jurisprudence des deux derniers siècles. Mais cette jurisprudence envahie théoriquement par le droit romain alors même qu’elle tolérait (il le fallait bien) les coutumes dans la pratique, en avait perdu l’intelligence qu’on ne retrouve qu’en remontant aux naïfs coutumiers de l’époque féodale, éclairés à leur tour par leur confrontation avec les capitulaires et les lois barbares. Que de fois dans ces coutumiers et même dans ces coutumes rédigées officiellement au XVIe siècle, ce qui concerne la communauté conjugale, le douaire, les successions, la majorité et mille autre points du droit civil n’est exposé qu’à propos de personnes nobles et de biens féodaux ! » Et de conclure qu’il est urgent de distinguer ce qui est droit d’exception de ce qui constitue un droit commun.
8 Essai sur l’histoire du droit français depuis les temps anciens jusqu’à nos jours y compris le droit public et privé de la Révolution française, Paris 1859, 2e éd. p. 9.
9 C. Ginoulhiac, Leçon d’ouverture du cours pour l’année scolaire 1854-1855.
10 Ch. Giraud, Essai sur l’histoire du droit français au Moyen Âge, Paris 1846, Avertissement.
11 Ouv. cité, p. 10.
12 L’ouvrage de Minier est d’un intérêt particulier dans ce domaine. Déjà on ne manquera pas de remarquer qu’il suffirait d’inverser les deux membres de phrases qui en composent le titre pour l’adapter aux programmes de première année selon notre plus récente réforme... Or l’auteur faisait référence dans sa Préface à un rapport présenté à la royauté dans les années 1830 par V. Cousin sur Les chaires d’encyclopédie du droit dont ce dernier proposait la création pour combler une lacune dans l’enseignement du droit : « Quand les jeunes étudiants se présentent dans nos écoles la jurisprudence est pour eux un pays nouveau dont ils ignorent complètement et la carte et la langue. Ils s’appliquent d’abord au droit civil et au droit romain sans bien connaître la place de cette partie du droit dans l’ensemble de la science juridique et il arrive qu’ils se dégoûtent de l’aridité de cette étude spéciale ou qu’ils y contractent l’habitude des détails et l’antipathie des idées générales. Depuis longtemps les bons esprits réclament un cours préliminaire qui aurait pour objet d’orienter les jeunes étudiants dans le labyrinthe de la jurisprudence, qui donnât une vue générale de toutes les parties de la science juridique [...] un cours qui établirait la méthode générale à suivre dans l’étude du droit avec les modifications particulières que chaque branche réclame ; un cours enfin qui ferait connaître les ouvrages importants qui ont marqué les progrès de la science ».
13 Avant-propos, p. IV.
14 Ibid., Conférence d’ouverture, p. 18 ; l’ouvrage en effet est l’édition d’un cours professé sur une année.
15 Ibid., Conférence d’ouverture, p. 25 : « Nous dresserons une carte coutumière de notre pays afin d’indiquer aussi exactement qu’il est possible de le faire, au milieu de l’enlacement presque inextricable de petites seigneuries et de petits territoires qui possédaient des usages différents, les provinces relevant de ce droit alors appelé droit national et de les distinguer de celles qui avaient adopté le droit romain, le droit écrit, tout en ayant elles-mêmes quelques lois locales. Mais bien que les coutumes ne se soient appliquées qu’à la moitié environ de la France le champ que nous nous proposons de parcourir est si vaste, il est parsemé de tels écueils, hérissé de tels obstacles, enveloppé de nuages si épais, malgré la science et la prolixité des commentateurs » qu’il ne serait pas possible d’en renfermer l’exposé dans un cours annuel.
16 J. Brissaud, Cours d’histoire générale du droit français public et privé à l’usage de étudiants en licence et en doctorat, Paris 1904, t. I, Sources, Droit public ; t. II, 3e partie. Droit privé : p. 1001 « [...] Il fallut à la monarchie un long effort pour reconstituer la souveraineté et la distinguer de la puissance privée. En même temps grâce à cette évolution se fit le mouvement vers l’égalité civile ; la condition privée dépendait beaucoup de la condition politique ; peu à peu les distinctions de classe s’atténuèrent ; la Révolution les abolit pour ne laisser subsister que des inégalités économiques, simple expression, dans la majorité des cas, des inégalités physiques ou intellectuelles.
C’est grâce aux changements d’ordre politique et religieux, sous l’action des causes économiques, que se produisirent à la fois l’émancipation de l’individu des liens de la famille et l’individualisation de la propriété [...] En dehors de ces répercussions logiques qui occupent une si grande place dans notre ancienne histoire juridique on peut dire que le droit privé s’étend et se complique, s’élargit et s’affine [...] La législation romaine mise en harmonie avec l’esprit du droit moderne, le droit canon et les idées chrétiennes, les conceptions d’équité et de droit naturel se mêlent au vieux fonds germanique dans les coutumes, les lois, la jurisprudence et la doctrine, pour parfaire l’oeuvre de notre ancien droit privé ».
17 Histoire du droit civil français [...], 3e éd. 1905, Préface, p. VI.
18 Ibid., p. 141 à propos des formules et formulaires, et p. 145 en tête du chapitre sur Les textes coutumiers officiels qui comprennent les chartes de ville, les statuts municipaux, les coutumes provinciales.
19 Dareste, Journal des Savants, nov. 1889, p. 649. L’auteur développe une conception déterministe du droit très influencée par la sociologie : « si l’on tient pour germanique tout ce qui n’est pas évidemment romain [...] on ne tient aucun compte du développement naturel du droit et de la force plastique, si l’on peut s’exprimer ainsi, par laquelle les sociétés humaines créent ou modifient leurs institutions suivant les besoins. Ces besoins varient suivant les temps et les circonstances ; mais comme les mêmes causes produisent partout les mêmes effets on peut affirmer que d’un certain état de choses naîtront certaines lois. C’est là une vérité que l’étude des législations comparées a mise en lumière et qui dispense de rechercher s’il y a eu emprunt fait par un peuple à un autre peuple ».
20 Avant-propos, daté de 1947 : « L’ouvrage selon la tradition inaugurée par Esmein se limite à l’étude des institutions de l’Ancien Régime. Dans l’organisation actuelle des Facultés de droit les institutions du XIXe siècle ne ressortissent pas aux historiens du droit ; leur étude sert seulement d’introduction ou d’illustration aux commentaires des constitutionnalistes et des publicistes. C’est regrettable mais cela découle logiquement de la coupure qui est maintenue, pour des raisons qui n’ont rien de scientifique, entre l’ancien régime et le nouveau qui sortirait tout entier des principes posés par la Révolution. Tant que l’on ne révisera pas ce point de vue condamné par l’histoire il est sans intérêt de décrire les institutions nouvelles et de les mener jusqu’en 1815. Si l’histoire n’a pas assez de champ pour suivre, au moins pendant tout le cours du XIXe siècle, le sort des principes « modernes », les conséquences des contradictions internes qu’ils présentent, la réapparition enfin sous des formes rajeunies de certaines institutions d’autrefois, il vaut mieux s’arrêter tout net à la chute de l’Ancien Régime ».
21 La formation du régime de communauté entre époux, Cours de doctorat, 1942-1943, Introduction.
22 Les enfants dans la famille. Cours de doctorat, 1947-1948, p. 4.
23 Regnault avait publié en 1929 un premier ouvrage : Les ordonnances du chancelier Daguesseau. Les donations et l’ordonnance de 1731. Puis en 1938, il a également publié Les ordonnances civiles du chancelier Daguesseau. Les testaments et l’ordonnance de 1735, ouvrage qui était en réalité la seconde partie de cette étude sur la question ; l’auteur est mort en 1948 un an après avoir achevé ce troisième volume sur les testaments et l’ordonnance de 1735 qui n’a pu être publié qu’en 1965. Yver, qui habitait Caen, avait achevé en 1944 le manuscrit de son célèbre livre Egalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés – Essai de géographie coutumière. Une partie de ce travail disparut dans les bombardements de la Libération et le livre ne fut reconstitué et publié qu’en 1966.
24 Plus encore qu’à travers un simple catalogue, on prendrait la mesure de cet ensemble de publications par l’utilisation qui pouvait alors en être faite dans les recherches poursuivies au milieu du XXe siècle, particulièrement : P. Tisset, « Placentin et son enseignement à Montpellier. Droit romain et coutumes dans l’ancien pays de Septimanie », Recueil des mémoires et travaux publiés par la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, fasc. II, Montpellier 1951, p. 67-94 ; également, J. Hilaire, « Les régimes matrimoniaux aux XIe et XIIe siècles dans la région de Montpellier », dans le même Recueil SHDE, fasc. III 1955, p. 16. col.l n.1 ; M. Castaing-Sicard, Les contrats dans le très ancien droit toulousain (Xe-XIIIe siècle), Toulouse 1959, p. 28-29. On remarquera en revanche que Tardif, auteur d’une édition critique des Coutumes de Toulouse en 1884, n’avait pas tiré de la source qu’il avait utilisée tout le parti que l’on pouvait attendre dans ses travaux sur le droit méridional, Le droit privé au XIIIe siècle d’après les coutumes de Toulouse et de Montpellier (H. Gilles, Les coutumes de Toulouse (1286) et leur premier commentaire (1296), Toulouse 1969, p. 6).
25 La SHD a été fondée par E. Chénon, P. Fournier, G. Glotz. P. Jobbé-Duval, R. Génestal, E. Champeaux, pour le développement de l’histoire du droit public et privé, français et étranger, ancien et moderne, depuis l’histoire des coutumes primitives jusqu’à celle des réformes postérieures à la rédaction de nos codes.
26 « Encourager les travaux en fournissant aux travailleurs une direction générale, des conseils, des renseignements, un milieu d’encouragement et d’émulation, en attendant le jour où, les conditions de publication s’étant améliorées, elle pourra entreprendre ces grandes publications d’ensemble [...] dont la réalisation dépasse aujourd’hui les forces d’un seul homme ».
27 Création de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands en 1933 et l’année suivante de la collection des Mémoires de la Société dont le premier fascicule comportait en frontispice un programme intitulé Des raisons d’étudier le droit bourguignon (Ph. Meylan, « Présence de Georges Chevrier », dans les Mémoires SHDB, 29efasc. 1968-1969).
28 Sur le rapport de J.. Flach, Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 72e année, nouvelle série, t. LVIII, 1912. Le rapporteur remarque que l’oeuvre est solide mais en nuançant singulièrement ses éloges. Le reproche essentiel est d’avoir décrit le droit coutumier parisien plutôt que d’avoir fait l’histoire de la coutume de Paris proprement dite : « Son oeuvre serait hors ligne si la puissance de conception et le sens de l’histoire égalaient en lui la science du droit.il fallait être l’un et l’autre à degré au moins égal pour écrire une histoire de la coutume de Paris [...] Le défaut se sent déjà dans la langue du mémoire [...] Les sources de la coutume ne sont à ses yeux que les documents de droit pur qui la constatent. Il les oppose non sans une nuance de dédain, semble-t-il, aux documents qu’il appelle « concrets » : chartes, arrêts, démembrements etc. [...] à des documents historiques en somme [...] Il ira jusqu’à appeler un testament « concret ». » Le rapporteur paraissait ignorer la distinction, formelle certes mais élémentaire pour les juristes, entre acte abstrait et anonyme contenu dans un formulaire et acte concret.
29 On nous permettra de rappeler ici que l’on peut actuellement en avoir une vue rapide à travers les bibliographies introduites dans plusieurs ouvrages : les trois volumes de l’histoire du droit privé, de P. Ourliac et J. de Malafosse dans la Collection Thémis (1968-1969) ; l’Histoire du droit privé français de P. Ourliac et J.-L. Gazzaniga, Collection L’évolution de l’humanité, 1985 ; la série des Introductions historiques en matière de droit privé de la Collection Droit fondamental (PUF) dans les rubriques Pour aller plus loin qui ponctuent ces ouvrages : A.-M. Patault, Introduction historique au droit des biens, 1989 ; J.-L. Gazzaniga, Introduction historique au droit des obligations, 1992 ; A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, 1996 ; également J.-L. Halpérin, Histoire du droit privé français depuis 1804, 1996.
30 Par exemple, Ch. Lefebvre, Leçons d’introduction générale à l’histoire du droit matrimonial français, Paris 1900 ; de même, le cours de doctorat sur l’histoire du droit matrimonial dans les pays de droit écrit : Le droit des gens mariés aux pays de droit écrit et de Normandie, Paris 1912. E. Meynial, Le droit des biens entre époux, cours de doctorat, Paris, 1929. Le cours de P. Petot, La formation historique du régime de communauté entre époux, 1942- 1943, a lui aussi servi de référence durant des décennies.
31 E. Champeaux, « Les parentèles en Bourgogne », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 1924.
32 Sur la vaste question de la communauté entre époux et de ses annexes, on ne peut que renvoyer ici à l’état des questions présenté dans l’ouvrage de P. Ourliac et J. de Malafosse (t. III, p. 276-278, ouvrage publié rappelons-le en 1968), qui rend parfaitement compte de la densité des recherches en la matière dans la période considérée ici.
33 Paillot, La représentation successorale dans les coutumes du Nord. Lille-Paris 1935 ; Génestal, Le retrait lignager. Semaine d’histoire du droit normand, 1923 ; R. Besnier, « Les filles dans le droit successoral normand », Tijdschrift [...], 1930 ;
34 V. l’état des questions dans Ourliac et Malafosse, ouv. cité, t. III. Le droit familial, p. 83.
35 Comme nous l’avons montré dans « Vie en commun, famille et esprit communautaire », RHD. 1973.
36 G. Goury, Origines et développement historique de la distinction des biens en meubles et immeubles, thèse Nancy. 1897.
37 J. Codet-Boissel. Du catel, Bordeaux. 1905 ; L. Lorgnier. Les cateux dans les coutumes du nord de la France, thèse Paris, 1906.
38 E. Meynial, « Notes sur la formation de la théorie du domaine divisé, du XIIe au XIVe siècle dans les romanistes ». Mélanges Fitting, 1908.
39 Chénon, Les démembrements de la propriété foncière en France avant et après la Révolution, (2e éd.) 1923.
40 G. BoURGIN, « Le partage des biens communaux », RHD. 1908 ; Vigier, DU partage des biens communaux en Auvergne sous l’Ancien Régime, thèse Paris, 1909 : R. Filhoulaud, Le partage des biens communaux dans le ressort de la cour d’appel de Limoges, thèse Limoges, 1932.
41 L. Rigaud, Le droit réel, histoire et théorie. Son origine institutionnelle, thèse Toulouse, 1912.
42 R. Génestal, Rôle des monastères comme établissements de crédit, thèse Paris, 1904 ; Fr. Richard, Etude sur le contrat d’albergement particulièrement dans la province du Dauphiné, Grenoble, 1906 ; J. Fricaudet, Essai sur la fidejussion dans l’ancienne Bourgogne, thèse Dijon, 1907.
43 H. Auffroy. Evolution du testament en France des origines au XIIIe siècle, Paris, 1899.
44 Introduction, p. 9 : « Le temps n’est plus où l’historien du droit pouvait espérer apporter au public une oeuvre complètement neuve. Le tour a été fait depuis longtemps des principes rassemblés dans nos vieux coutumiers. Des points de repère jalonnent, à plus ou moins d’intervalle, les principales étapes de l’évolution juridique. Il s’agit désormais de retrouver les voies historiques qui ont conduit de l’un à l’autre. Autour des textes coutumiers, pour en expliquer l’origine, le sens, la répercussion, il faut en un mot grouper les textes de la pratique ».
45 J. Flach, professeur d’histoire des législations comparées au Collège de France, professeur à l’Ecole des sciences politiques. Etudes critiques sur l’histoire du droit romain au Moyen Âge avec textes inédits, Paris 1890. Il rejette les critiques de l’oeuvre de Savigny : ce dernier n’ayant pas trouvé de droit romain vivant avant les glossateurs, on en déduisait qu’il avait dû y avoir continuité mais que Savigny n’avait pas su découvrir, d’autant qu’il restait encore beaucoup à explorer dans les manuscrits. Flach se ralliait plutôt à « l’idée évolutionniste » d’après laquelle « la poussée des circonstances jointe à la valeur des hommes » aurait permis de renouer à partir d’Irnerius la chaîne de la science rompue dans le passé.
46 Ed. Meynial, « De l’application du droit romain dans la région de Montpellier aux XIIe et XIIIe siècles », dans Atti del congresso internationale di scienze storiche, Rome, 1903 ; « Remarques sur la réaction populaire contre l’invasion du droit romain en France aux XIIe et XIIIe siècles », dans Mélanges Chabaneau, 1907. R. Caillemer, « Les idées coutumières et la renaissance du droit romain dans le Sud-Est de la France », dans Essays in legal history, Oxford, 1913.
47 E. Jarriand, « L’évolution du droit écrit dans le Midi de la France depuis le IXe siècle jusqu’en 1789 », Revue des questions historiques, nouvelle série, t. IV, 1990-1991 ; Histoire de la novelle 118 dans les pays de droit écrit, Paris 1889 ; « La succession coutumière dans les pays de droit écrit », RHD, 1890.
48 La bibliographie donnée par Brissaud (Histoire du droit français, t. II, 3e partie, Droit privé), en tête du chapitre premier consacré à la famille, p. 1003, est très révélatrice à ce sujet. Elle est divisée en trois paragraphes : 1) bibliographie juridique générale de la famille ; 2) législation étrangère ; 3) moeurs. Or l’auteur a groupé sous cette troisième rubrique des études, ouvrages ou articles, concernant les régions de droit écrit et qui étaient fondées sur le dépouillement d’archives notariales (tout particulièrement les travaux de Ch. de Ribbe sur la famille en Provence).
49 Auguste Dumas, archiviste du département de la Dordogne, La condition des gens mariés dans la famille périgourdine au XVe et au XVIe siècles. Etude de droit romain en pays de droit écrit, Paris, thèse 1908 (Chénon et Lefèbvre figuraient au jury). L’auteur termina sa carrière comme professeur d’histoire du droit à la Faculté de droit d’Aix en Provence et ses cours de doctorat professés autour de 1950 demeurent très actuels.
50 Préface, p. I-IV « [...] Ces réalités on peut les étudier à l’aide des documents conservés dans les archives départementales. On n’aura pas à se plaindre de manquer de textes ; on courra plutôt le risque de se noyer au milieu d’une masse trop abondante. Assurément l’historien ne trouve pas toujours dans les pièces d’archives son travail à moitié fait à l’avance, comme dans les oeuvres des jurisconsultes, où les auteurs ont déjà pensé pour lui comme dans les textes de coutumes ou de lois qui lui donnent la règle juridique toute formulée ; il faut que celui qui utilise des actes concrets fasse lui-même la théorie, établisse la règle à l’aide de cas particuliers. Mais ces actes que l’on rencontre dans les dépôts publics ont répondu en leur temps à des réalités vivantes ; aussi ils pénètrent mieux que ne le feraient des coutumiers ou des commentaires de jurisconsultes dans le milieu moral, économique et social que le droit avait réglé ; ils font apparaître davantage la complexité de la vie juridique ».
51 Ibid. « Le commerce de ces documents fait comprendre les raisons pour lesquelles le droit romain a survécu si longtemps. Si certaines institutions comme la puissance paternelle qui est pour ainsi dire la base du droit écrit ont persisté pendant des siècles, cela tient surtout à ce qu’elles étaient restées conformes aux moeurs, à la situation économique. Les notaires ayant une boutique recopiaient des formulaires sans être savants et [...] s’ils faisaient du droit romain c’était un peu comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir : le milieu où ils vivaient étaient inconsciemment romain par ses usages et ses mœurs ».
52 Le testament en Provence dans l’ancien droit, Aix en Provence 1927. Dès l’introduction, l’affirmation est claire : « De nos jours une tendance très nette se manifeste en faveur des études régionales, des monographies locales, qui permettent de suivre de près l’évolution d’une institution ou d’un milieu social. Bien souvent en effet des ouvrages conçus dans un cadre trop général, sacrifiant la réalité, parfois déconcertante, à un abstrait esprit de système, ont méconnu l’individualité des anciennes provinces françaises, alors qu’il conviendrait, au contraire, de mettre en relief les caractères particuliers de chacune d’elles ».
53 En Introduction il rappelait que des monographies sur ce sujet existaient déjà pour diverses régions et que R. Latouche avait souhaité pour le notariat des pays de droit écrit une synthèse s’attachant à la fois aux aspects institutionnel, diplomatique et de droit privé. Mais il remarquait aussitôt que, s’il y avait dans ces régions un fonds commun d’usage, en revanche du point de vue du droit public l’histoire politique de ces pays parfois fort différente réclamait encore, au moment où il écrivait, une approche par régions.
54 II remarquait en Introduction que l’on n’avait encore que très peu puisé à cette source à cause de son abord difficile et de l’immensité presque décourageante de la masse de documents qu’elle fournit, les registres notariaux du XIVe au XVIIIe siècle se comptant par milliers dans les anciennes provinces de droit écrit.
55 Droit romain et pratique méridionale au XVe siècle. Etienne Bertrand, thèse Paris, 1937.
56 L’auteur retient en conclusion de sa thèse que, au XVe siècle en Provence, il existe encore un droit coutumier qui peut tenir en échec les règles romaines « [...] Vu par Bertrand le droit méridional a la plasticité et la cohérence qui font aujourd’hui encore le mérite des législations anglo-saxonnes...] ce n’est pas un code rigide, des catégories où il faut tout faire entrer. Ces tendances expliquent bien la faveur que connurent au XVIe siècle et en pays coutumier, les conseils de Bertrand chez Du Moulin, Tiraqueau, Chasseneuz [...] Ainsi s’accuse la communauté de leurs méthodes [...] Bertrand représente à cet égard un chaînon nécessaire entre Bartole et Du Moulin ».
Auteur
Professeur émérite de l’Université de Paris II.
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