Aller au contenu

Mehmed II

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
(Redirigé depuis Mehmet II)

Mehmed II
Illustration.
Portrait de Mehmed II par Gentile Bellini (1479).
Titre
7e sultan ottoman

(2 ans et 1 mois)
Prédécesseur Mourad II
Successeur Mourad II

(30 ans et 3 mois)
Prédécesseur Mourad II
Successeur Bayezid II
Biographie
Dynastie Dynastie ottomane
Nom de naissance محمد الثاني بن مراد الثاني
Date de naissance
Lieu de naissance Edirne
Date de décès (à 49 ans)
Lieu de décès Gebze
Père Mourad II
Mère Hüma Hatun
Fratrie Ahmed, Alaeddin Ali, Orhan, Hasan, Erhundu, Şehzade, Fatma, Hatice
Conjoint Gülbahar Hatun, Gülşah Hatun, Sittişah Hatun, Çiçek Hatun, Hatice Hatun
Enfants Bayezid II , Zizim, Mustafa, Gevherhan
Religion Islam

Signature de Mehmed II
Liste des sultans de l'Empire ottoman

Mehmet II le Conquérant ou Mehmed II « Fatih »[1] (en turc : Fatih Sultan Mehmet Han) est le septième sultan de l'Empire ottoman.

Il est le quatrième fils de Mourad II[2]. Il serait né le à Edirne[3] de Huma Hatun.

C'est la prise de Constantinople en 1453 qui lui vaut son surnom de « Fatih » (Conquérant), en outre il s'est proclamé lui-même « Kayser-i Rum », littéralement « le César des Romains ». Il règne à deux reprises (entre 1444 et 1446 puis entre 1451 et 1481) ; dans l'intervalle, c'est son père Mourad II qui reprend le pouvoir.

Mehmed est curieux de littérature et de beaux-arts. Il écrit des poèmes en turc et en persan et compose des chansons. Il s'intéresse à la philosophie et aux sciences, à l'astronomie en particulier. Il fait venir à Constantinople des artistes italiens, dont Gentile Bellini, qui ne séjourne dans la capitale que quelques mois, le temps d'exécuter le portrait du sultan qui lui a été demandé à l'occasion des accords de paix conclus entre la république de Venise et l'Empire ottoman (). Selon certains auteurs, Mehmed II aurait appris l'arabe, le persan, l'hébreu, le latin et le grec mais sa connaissance de ces deux dernières langues au moins est fortement sujette à caution[4].

Il meurt le à Gebze. Son fils Bayezid lui succède.

Il a sept épouses, une fille et quatre fils : Mustafa (tr), Bayezid, Cem (ou Jem/Djem) et Korkut.

Premier règne

[modifier | modifier le code]

Fils cadet de Mourad, Mehmed a une enfance et une instruction difficiles[5]. Il devient l'héritier du trône à la mort de son frère aîné Alaeddin en 1444. Pour des raisons mal connues, Mourad II abdique en sa faveur en ou de la même année[6] et se retire à Manisa.

Le court règne de Mehmed est agité, sur les plans intérieur et extérieur. Le gouvernement est partagé entre la faction du grand vizir Çandarlı Halil dit Halil Pacha, homme de confiance de Mourad mais qui entretient de mauvaises relations avec Mehmed, et d'autre part les autres vizirs plus proches du jeune sultan[6]. Des mouvements populaires provoquant un incendie à Edirne suivent la prédication d'un derviche hurufi, protégé par Mehmed contre le grand mufti et Halil Pacha[7].

En 1446, Halil Pacha fomente une révolte des janissaires, et Mourad II reprend le pouvoir jusqu'à sa mort en février 1451[8]. Au , Mehmed participa aux côtés de son père à une campagne infructueuse (en) contre Skanderbeg[9].

Accession au trône

[modifier | modifier le code]

Mehmed monte sur le trône le , dans des circonstances troublées (présence du prétendant Orkhan à Constantinople, opposition des janissaires, mauvaises relations avec le grand vizir Çandarlı Halil). Le nouveau sultan adopte une politique prudente de conciliation : il maintient Halil au poste de grand vizir et est le premier sultan à accorder aux janissaires un don de joyeux avènement[10]. En conquérant l'émirat de Karaman en et et en renouvelant les traités de paix avec Venise en et avec la Hongrie en de la même année, Mehmed montre ses qualités de stratège comme militaire et comme diplomate.

Le siège de Constantinople

[modifier | modifier le code]
La forteresse de Roumélie (Rumeli Hisarı).

Dès le début de son règne, Mehmed II se concentre sur le projet de faire de Constantinople la capitale de son pays. Il a conscience que posséder Constantinople serait une source de richesse et qu'ainsi il aurait le contrôle du commerce vers la mer Noire dans un sens et vers la mer Méditerranée dans l'autre sens. Lorsqu'il fait part de son projet, la majorité du divan, en particulier le grand vizir Halil Pacha, critique le sultan parce qu'il surestime ses capacités.

Un ingénieur hongrois nommé Orban (francisé en Urbain) fabrique pour le sultan de nouveaux canons gigantesques qui vont jouer un rôle important dans la prise de la ville.

En 1452, Mehmed fait construire sur la rive européenne une forteresse en face de celle que Bayezid Ier avait construite sur la rive asiatique. Ce château est appelée forteresse de Roumélie (Rumeli Hisarı) tandis que celle de Bayezid Ier s'appelle forteresse d'Anatolie (Anadolu Hisarı). Au cours de ces préparatifs, Mehmed renouvele les traités de paix signés avec la Serbie et la Valachie et signe un nouveau traité de paix avec la Hongrie.

De son côté, l'Empire byzantin se prépare en accumulant des réserves de nourriture pour un long siège. L'empereur Constantin XI Paléologue est inquiet en apprenant la construction de la forteresse de Roumélie à proximité de la ville. Il veut demander l'aide du pape. Ce dernier met comme condition à cette aide l'unification des deux Églises catholique et orthodoxe. Mais les rivalités entre les hommes religieux amènent l'empereur à abandonner tout espoir d'une nouvelle croisade pour lui venir en aide. En , Mehmed assiège la ville, détruisant tout aux environs et enfermant la population dans ses murs.

Le , deux tours sur roues sont construites pour pouvoir franchir les murailles légendaires de la ville. La bataille devient sanglante et Mehmed se rend compte que tant que sa marine n'entre pas en jeu, la ville pourrait continuer à être soutenue par les navires vénitiens et génois. Il fallait trouver un moyen de pénétrer dans la Corne d'Or, mais celle-ci est bien défendue à son entrée par un système de chaînes. Mehmed imagine alors de tirer les bateaux à terre sur la rive européenne et de les faire entrer par l'extrémité de la Corne d'Or (). La marine ottomane se trouve ainsi au milieu de la ville et elle peut bombarder ses murs depuis l'intérieur. Les boulets de 600 kilogrammes tirés par le canon géant d'Orban font de terribles ravages. Entre le et le , Constantin XI, voyant que la défense ne tiendrait plus longtemps, accepte, sur la proposition d'un envoyé de Mehmed (nommé Ismaël, et fils du renégat grec Alexandre/Skender, prince vassal de Sinope), d'entrer dans des pourparlers de paix avec le sultan. Celui-ci exige alors le payement annuel d'un tribut de 100 000 besants d'or (somme bien au-dessus des moyens de l'Empire romain), faute de quoi les Byzantins n'auraient plus qu'à quitter la ville en emportant leurs biens, ou à subir l'assaut de l'armée turque. Constantin ne pouvait que refuser de telles conditions, ce qu'il fait après avoir consulté son entourage[11].

Entrée de Memed II dans Constantinople. Peinture de Fausto Zonaro (1854-1929).

Dans la nuit du au , vers une heure et demie du matin, l'attaque finale est lancée (cf. la chute de Constantinople). Plusieurs vagues successives sont repoussées mais les régiments turcs parviennent au bout de quelques heures à pénétrer dans la ville et Constantin XI périt dans la bataille. À midi, au terme d'une lutte héroïque de part et d'autre, la capitale est prise. L'Empire romain d'Orient, vieux de 1 058 ans, s'écroule après 54 jours de siège. Les conquérants se livrent au pillage, au viol et à toutes sortes de profanations, et ils massacrent, sans distinction de sexe ni d'âge, les habitants qu'ils rencontrent, en attendant de réduire en esclavage les éventuels rescapés[12].

Mehmed II entre dans Constantinople dans l'après-midi du . Escorté de vizirs, de pachas, d'oulémas et de janissaires, il gagne la basilique Sainte-Sophie. Là, montant à l'ambon en compagnie d'un imam, il récite la prière musulmane, puis, pénétrant dans le sanctuaire, monte sur l'autel et le foule aux pieds, dans une attitude de profanation à la longue histoire[13], puis s'agenouilla pour y faire la prière musulmane de Dohr : la basilique chrétienne, de ce fait, fut transformée en mosquée[14].

Selon certains historiens modernes[15], le sultan aurait mis un terme au pillage de la cité avant la fin des trois jours habituellement accordés aux soldats ; cette affirmation, contredite par la plupart des autres historiens pour qui la mise à sac ne s'acheva que le [16], est non seulement dépourvue de références à des sources contemporaines des faits, mais encore démentie par les récits de témoins oculaires[17] parlant expressément de trois jours de pillage[18], ainsi que par les rapports des historiographes ottomans eux-mêmes [19]. Il est donc plus exact de dire que le pillage et la destruction « se poursuivent pendant trois jours, mais sans l'intensité des douze premières heures »[20].

Accusation de pédérastie

[modifier | modifier le code]

Ils existe des accusations de pédérastie contre Mehmed II qui proviennent principalement de sources européennes, souvent hostiles à l'Empire ottoman, la plupart des historiens modernes estiment qu'il n'existe pas de preuves suffisamment solides pour affirmer que Mehmed II était pédéraste. Les récits provenant de sources occidentales de l'époque sont souvent perçus comme biaisés. Par conséquent, bien que ces récits existent, ils doivent être traités avec prudence, et il est difficile de tirer des conclusions définitives à partir de ces sources. En effet les tensions entre l'Occident chrétien et l'Empire ottoman au 15e siècle étaient fortes. Des récits accusant des dirigeants musulmans de comportements immoraux ou déviants faisaient partie de la propagande utilisée pour discréditer l'ennemi. Les accusations de pédérastie ou de déviance sexuelle faisaient partie des récits courants dans la littérature anti-ottomane de l'époque[21],[22],[23].

Les accusations de pédérastie contre Mehmed II proviennent principalement de sources européennes du XVe siècle, en particulier de chroniqueurs byzantins et vénitiens. Ces récits sont souvent influencés par la haine et la peur de l'Empire ottoman, qui venait de conquérir Constantinople, une ville chrétienne d'une importance symbolique majeure. Des auteurs comme Laonicus Chalcondyle et Giovanni Maria Angiolello ont rapporté ces rumeurs, mais ces récits sont considérés comme biaisés par les historiens modernes. Aucune source fiable ou contemporaine ottomane ne confirme les accusations de pédérastie contre Mehmed II. Les historiens modernes, tels que Franz Babinger, Halil İnalcık et Caroline Finkel, abordent ces accusations avec beaucoup de prudence ou ne les mentionnent pas du tout, soulignant que ces allégations proviennent principalement de sources hostiles européennes, souvent biaisées par des motivations politiques. En l'absence de preuves crédibles dans les sources ottomanes, ces accusations sont largement considérées comme non fondées.

Renaissance et continuité

[modifier | modifier le code]

Finalement, Constantinople devient capitale de l'Empire ottoman. Le premier décret du sultan après la prise de la « Nouvelle Rome » est de repeupler la ville morte. Il autorise donc l'installation de civils, y compris chrétiens, dans la ville, à qui il laisse (mais sous un contrôle très étroit) une certaine liberté de culte, marquée par l'intronisation à la tête de l'Église grecque orthodoxe d'un nouveau patriarche, Gennadios, connu pour ses positions anti-unionistes ; il instaure aussi un patriarcat arménien apostolique en 1461. Soucieux de marquer la continuité entre l'Empire romain et la Sublime Porte, celui qui est déjà titré « Maîtres de deux continents » et « de deux mers » se fait appeler Kayser-i Rum (littéralement « César des Romains » c'est-à-dire « empereur de Rome »)[24].

En 1462, il lance la construction du palais de Topkapı.

S'étant présenté comme seigneur des combattants de la foi, il œuvre dans sa conquête pour acquérir une légitimé aux yeux du reste du monde musulman. Les chroniqueurs le qualifient régulièrement de gâzi des gâzis, de champion de la guerre sainte, etc.[25].

La conquête des Balkans

[modifier | modifier le code]

Mehmed II annexe ce qui reste du despotat vassal de Serbie après la chute de la forteresse de Smederevo en 1459. Le royaume de Bosnie est incorporé à l'Empire après la mort du roi Étienne Tomašević en 1463.

La conquête des territoires albanais se révèle plus difficile. Skanderbeg, fédérant d'autres seigneurs de guerre, repousse à deux reprises les armées ottomanes, en 1466 et 1467. Après son décès en 1468, ses partisans parviennent à contenir les armées ottomanes jusqu'en 1480.

Conquête des vestiges de l'Empire byzantin

[modifier | modifier le code]

De 1459 à l', Mehmed II fait la conquête définitive du despotat de Morée, où règnent les deux frères de Constantin XI, Démétrios et Thomas. Démétrios se soumet rapidement au sultan, qui lui donne une somme importante et quelques îles de la mer Égée en apanage, tandis que Thomas s'enfuit avec ses enfants d'abord à Corfou, puis à Rome, où il meurt en 1465[26]. Dans sa progression pour la conquête du Péloponnèse, l'armée de Mehmed réduit une à une les cités grecques, massacrant parfois les hommes qui avaient osé résister, comme à Kastritsa, voire toute la population civile de Leondari, sans distinction de sexe ou d'âge[27], afin de faire des exemples et amener ainsi, par la terreur, les autres places-fortes à se rendre sans combattre ; les habitants de certaines villes sont réduits en servitude ou déportés à Constantinople « pour repeupler les faubourgs »[28] ; des commandants de forteresses ayant opposé de la résistance furent sciés en deux[29]. La seule cité qui ne succomba pas au déferlement de l'armée ottomane fut Monemvasia/Malvoisie, qui, grâce à la puissance de ses murailles et de sa flotte, mais aussi grâce à la fermeté de son gouverneur, Nicolas Paléologue[30], sut résister, mais au prix d'un accord qui la fit passer sous le protectorat de Venise et retarda ainsi jusqu'en 1540 sa prise par les Turcs.

Guerre en Anatolie

[modifier | modifier le code]

En 1461, Mehmed II se tourne vers l'Anatolie. Il conquiert la principauté djandaride et l'empire de Trébizonde en . L'héritier du trône, David II, fils de Jean IV dit Kaloyannis, lui remet, le 15 de ce mois, les clefs de la cité et se laisse embarquer avec sa famille pour Constantinople. Le sultan dépouille de leurs biens les familles de notables avant de les installer à Constantinople, et réduit en esclavage le reste de la population[31]. Deux ans plus tard, craignant que David ne vienne à conspirer contre lui, Mehmed II lui donne, ainsi qu'à ses fils, le choix entre la conversion à l'islam et la mort immédiate : comme tous refusaient de renier leur foi, le sultan leur fait trancher la tête l'un après l'autre ()[32].

En 1464, quand Ibrahim, bey de Karaman, meurt, sa succession est disputée. Deux frères s'opposent. L'un, Ishak, obtient l'appui du Turcoman Uzun Hasan, sultan des Akkoyunlu (clan des « Moutons Blancs ») ; l'autre, Pir Ahmed, reçoit le soutien de Mehmed. Pir Ahmed commet l'erreur de chercher un arrangement avec les Vénitiens : Mehmed considère cela comme une trahison, part en campagne et conquiert Konya et Karaman. Pir Ahmed se réfugie chez les Akkoyunlu. L'armée ottomane et l'armée des Akkoyunlu s'affrontent près de Otlukbeli le  : l'armée ottomane, la mieux équipée de l'époque, écrase ses adversaires.

Conflits avec les Hongrois et les Moldaves

[modifier | modifier le code]

Prise de Négrepont

[modifier | modifier le code]

Dans la guerre sans merci que Mehmed II livre aux Vénitiens pour les chasser de leurs possessions dans la Méditerranée orientale, la prise de la colonie de Négrepont (l'antique Chalcis d'Eubée), en 1470, est sans doute l'événement le plus marquant[33]. L'expédition est longuement mûrie par le sultan et préparée à partir de l'hiver 1469-1470. Mehmed II met à sa tête son ex-grand vizir, Mahmud Pacha Angelović, renégat chrétien d'origine serbe, qui commande alors la flotte ottomane. Partie de Gallipoli, la flotte de Mahmud Pacha arrive devant la cité le  : le blocus commence. Malgré une défense désespérée, Négrepont, dont les murs renferment alors une population de 4 000 âmes environ[34], tombe aux mains des Ottomans le . La plupart des habitants, nourrissons et vieillards compris, sont systématiquement massacrés (-), et le maigre reste, constitué surtout de jeunes filles de moins de quinze ans, est réduit en esclavage[35]. Amplement diffusée par une presse alors toute récente, l'annonce d'un tel carnage horrifie l'Europe[36]. Cette perte fut peut-être, pour Venise, la plus cruelle de celles qu'elle eut à subir au XVe siècle[37].

Conquête de la Crimée

[modifier | modifier le code]

L'objectif de Mehmed II est alors de contrôler le bassin de la mer Noire et d'éradiquer, fût-ce au prix d'une politique d'extermination, la puissance vénitienne et génoise dans la région. En 1475, il conquiert les colonies génoises de Crimée, notamment le port de Caffa, pris par le grand vizir Gedik Ahmed Pacha le [38]. Le sultan installe ainsi l'Empire ottoman au nord de la mer Noire et fait de celle-ci un lac turc. Cette avancée lui donne le contrôle du trafic d'esclaves et de la route de la soie.
Ayant dès lors la mainmise sur les routes commerciales, Mehmed II fait construire de nouveaux ports et une flotte pour pouvoir concurrencer Venise et Gênes dans le commerce maritime.

Dernières conquêtes

[modifier | modifier le code]

En 1477, il se dirige sur la côte Est de l'Adriatique pour y prendre quelques îles aux Vénitiens et obtenir un traité de paix avec Venise en . Un de ses vizirs, Gedik Ahmed Pacha, prend pied en Italie et conquiert Otrante, dont la prise () et le massacre qui l'accompagne (12 000 victimes) provoquent un nouveau choc dans l'opinion européenne.

Alors qu'il se rend vers l'Orient pour une nouvelle campagne militaire, Mehmed meurt sur la route le , peut-être empoisonné à l'instigation de l'ordre des derviches Halvetî et de son fils Bayezıd[39].

La nouvelle de la mort de Mehmed provoque une grande joie en Europe ; les cloches des églises sonnent et des célébrations ont lieu. La nouvelle est proclamée ainsi à Venise : « La Grande Aquila è morta ! (« Le Grand Aigle est mort ! »)[40].

Après sa mort, ses deux fils Bayezıd (appelé Bajazet par les Européens), l'aîné, et Djem (appelé Zizim) se disputent le pouvoir. Défait à deux reprises, Djem se réfugie en Occident, où il meurt en 1495 dans des conditions jamais élucidées.

Bilan du règne

[modifier | modifier le code]
Empire ottoman en 1481.

Mehmed est principalement un homme de guerre qui augmente à la fois sa flotte et son armée, dont il fait l'une des plus redoutables d'Europe. Avec lui, l'impérialisme ottoman commence une expansion européenne qui bouleverse l'Occident pendant plus de trois siècles, et la Grèce entre dans une très longue période d'asservissement qui dure jusqu'aux traités d'Andrinople (1829) et de Constantinople (1832). Le fils de Mourad apparaît essentiellement, devant la postérité, comme le responsable de l'anéantissement brutal de la puissance et de la civilisation byzantines. Du point de vue de la politique intérieure ottomane, il renforce le pouvoir personnel du sultan en écartant la famille Çandarlı et en nommant ses esclaves au poste de grand vizir, en mettant au pas les familles de beys des frontières, et en supprimant ses rivaux ainsi que leurs héritiers. Il tente de réorganiser l'empire, impose aux non-musulmans une hiérarchie centralisée, renforce la puissance de la capitale Constantinople, édicte un recueil de lois (kânûnnâme)[41],[42].

Pour financer ses nombreuses campagnes militaires, il pratique une politique de dévaluation de la monnaie ainsi qu'une réforme de la propriété qui lui attirent l'hostilité des ordres religieux ainsi qu'une certaine impopularité[43].

Il laisse ainsi à sa mort un empire plus vaste et plus puissant, mais une armée fatiguée, une situation économique précaire, un peuple mécontent et une élite irritée et divisée ; cette situation est l'une des causes de la guerre civile qui s'ensuit[44].

Dans les arts et la culture populaire

[modifier | modifier le code]

Filmographie

[modifier | modifier le code]

En 1913, Albert Reusy interprète son rôle dans L'Agonie de Byzance de Louis Feuillade.

Mehmed II est le personnage principal du film turc en noir et blanc İstanbul'un Fethi (« La Conquête de Constantinople »), réalisé par Aydın Arakon (tr) et sorti en 1951.

Il est joué par Alexandru Repan (en) dans le film roumain Vlad Tepes sorti en 1979.

Dans le film turc Constantinople (2012), dépeignant la prise de Constantinople par les forces ottomanes qui entraîne la destruction de l'Empire byzantin, il est interprété par Devrim Evin[45].

Dans le film américain Dracula Untold (2014), il est interprété par Dominic Cooper[46].

Télévision

[modifier | modifier le code]

Dans L'Essor de l'Empire ottoman, produite par Netflix à partir de 2020, Mehmed II est interprété par Cem Yiğit Üzümoğlu (en)[47].

Littérature

[modifier | modifier le code]

Marcel Proust écrit à son propos qu'« ayant senti qu'il était devenu fou amoureux d'une de ses femmes, la poignarda, afin, dit naïvement son biographe vénitien, de retrouver sa liberté d'esprit ». Par ailleurs, Charles Swann dans le deuxième tome d'À la recherche du temps perdu, compare les traits d'Albert Bloch au portrait de Mehmed II exécuté par Bellini[48],[49].

Maometto II ou Maometto second en deux actes que Gioachino Rossini composa en 1820 sur un livret de Cesare Della Valle[50].

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. fatih, de l'arabe فَاتِح fātiḥ, « conquérant » ; « victorieux »
  2. Halil İnalcık: Mehmed II. dans Türkiye Diyanet Vakfı İslâm Ansiklopedisi, Band 28. Ankara, TDV Yayını, 2003, p. 395–407.
  3. F. Babinger, Mehmed the Conqueror (1992), p. 8-9.
  4. Christos G. Patrinelis, « Mehmed II the Conqueror and his presumed knowledge of Greek and Latin », in Viator, 2 (1971), p. 349-354.
  5. Vatin 1989, p. 81.
  6. a et b Vatin 1989, p. 76.
  7. Vatin 1989, p. 77
  8. Kafadar, Cemal, Between Two Worlds, University of California Press, 1996, p. xix. (ISBN 0-520-20600-2)
  9. Vatin 1989, p. 78.
  10. Vatin 1989, p. 88.
  11. Voir : Doukas, XVIII (1088) ; Laonicos Chalcocondyle, De rebus Turcicis, VIII, 207 (PG 159, col. 385 D). Voir Gustave Schlumberger, 1453 : le siège, la prise et le sac de Constantinople par les Turcs. Paris, Plon, 1935, p. 164-166 ; L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 424-425 et n. 3445 ; S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 186-187.
  12. Jacques Heers, Chute et mort de Constantinople, Perrin, , p. 187.
  13. L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 428. On pense au vieux geste rituel, à la fois romain et byzantin, de la calcatio (hostis), mais le geste est détourné par Mehmed dans un sens religieux : au lieu de fouler aux pieds le chef ennemi (rappelons que le corps de l'empereur Constantin, tué dans la bataille, n'avait pas — ou pas encore — été retrouvé), Mehmed II piétine et humilie, d'une manière à la fois souveraine et symbolique, la table sainte où l'officiant chrétien procède au sacrifice du « corps du Christ ».
  14. L. Bréhier, Vie et mort (1992), p. 428 et n. 3478 (p. 550, avec référence précise aux sources) ; F. Babinger, Mehmed the conqueror (1992), p. 95.
  15. Dont S. Runciman, The Fall of Constantinople 1453, p. 148 ; H. İnalcık, The Policy of Mehmed II Toward the Greek Population of Istanbul and the Byzantine Buildings of the City, in Dumbarton Oaks Papers, 23/24 (1969/1970), p. 233 ; Vatin 1989, p. 88.
  16. A. Pertusi, La caduta, I (1976), p. LXXXVII (« 31 maggio. Mehmed con un ordine pone termine al saccheggio… ») ; S. Faroqhi, Subjects of the Sultan. Culture and daily life in the Ottoman Empire. London & New York, I.B. Tauris, 1995, p. 33 ; É. Patlagean, A. Ducellier, C. Asdracha & R. Mantran, Historia de Bizancio. Barcelona, Crítica, 2001, p. 279.
  17. Philippides 2011, p. 93.
  18. Ainsi : Angelo Giovanni Lomellino, Lettre de Péra du , dans A. Pertusi, La caduta, I (1976), p. 42, 16-17 (Posuerunt dictum locum ad saccum per tres dies) ; Léonard de Chio, Lettre du , § 46, dans A. Pertusi, La caduta, I (1976), p. 164, 467-469 (Triduo igitur in praedam decursam civitatem depopulatamque regis Teucrorum ditioni dicati admodum relinquunt).
  19. Voir par exemple : Oruç Beg, Tarih, éd. Nihal Atsiz, Istanbul, 1972, p. 109 (« Ils ont pillé pendant trois jours. Après le troisième jour, ils ont interdit le pillage ») ; Hoca Sa'düddin, 1979, p. 284 (« Le troisième jour, les huissiers de la Porte arrêtèrent, conformément à l'ordre du souverain, les combattants qui passaient leur temps à piller et à faire du butin, et ils freinèrent leur action, quitte à employer la force »). Voir Stéphane Yerasimos, « Les Grecs d'Istanbul après la conquête ottomane. Le repeuplement de la ville et de ses environs (1453-1550) », dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 107-110 (), p. 375-399, spéc. p. 375.
  20. Donald M. Nicol, Les derniers siècles de Byzance. 1261-1453. Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2008 (seconde éd. anglaise Cambridge University Press, 1993), p. 412. Voir aussi S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 220. Pour n'évoquer qu'un point, qui touche particulièrement les humanistes, la destruction massive de manuscrits grecs — attestée entre autres par Doukas, 42, 1, et Critoboulos, I, 62, 3 ; voir par ex. S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 216-217) —, a dû prendre du temps. Le jurisconsulte, philosophe et hébraïsant Lauro Quirini, dans une lettre adressée au pape Nicolas V et datée de Candie, , évalue à plus de 120 000 le nombre de livres grecs détruits par les Ottomans depuis la prise de la Ville : A. Pertusi, Testi inediti (1983), p. 74, l. 89-90.
  21. G.M. Meredith-Owens, « Mehmed the Conqueror and his Time, by Franz Babinger », Canadian Journal of History, vol. 13, no 2,‎ , p. 267–269 (ISSN 0008-4107 et 2292-8502, DOI 10.3138/cjh.13.2.267, lire en ligne, consulté le )
  22. Peter Charanis, Halil Inalcik, Norman Itzkowitz et Colin Imber, « The Ottoman Empire. The Classical Age 1300-1600 », The Classical World, vol. 69, no 3,‎ , p. 220 (ISSN 0009-8418, DOI 10.2307/4348414, lire en ligne, consulté le )
  23. Kate Fleet, « Osman's Dream. The Story of the Ottoman Empire 1300–1923. By Caroline Finkel. pp. xix, 660. London, John Murray, 2005. », Journal of the Royal Asiatic Society, vol. 16, no 3,‎ , p. 307–309 (ISSN 1356-1863 et 1474-0591, DOI 10.1017/s1356186306236472, lire en ligne, consulté le )
  24. Guillaume Calafat, Une mer jalousée : Contribution à l'histoire de la souveraineté (Méditerranée, XVIIe siècle), Seuil, (ISBN 978-2-02-137937-2, lire en ligne), Pt 259
  25. Henry Laurens, John Tolan et Gilles Veinstein, Europe et l’Islam (L') : Quinze siècles d’histoire, Paris, Odile Jacob, , 482 p. (ISBN 978-2-7381-2219-3 et 2-7381-2219-1, lire en ligne), p. 191-192
  26. S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 257-259.
  27. Setton, 1978, p. 225-226 ; Laonicos Chalcocondyle, De rebus Turcicis, IX (PG 159, col. 465 C — 468 C).
  28. Laonicos Chalcocondyle, De rebus Turcicis, IX (PG 159, 468 C).
  29. Voir Laonicos Chacocondyle, De rebus Turcicis, IX (PG 159, col. 468 A) : … καὶ τὸν ἄρχοντα αὐτῶν τῇ ὑστεραίᾳ χωρὶς ἔτεμε τὸ σῶμα ποιησόμενον (à propos du défenseur de Kastritsa). Mehmed II fit également scier en deux, parmi d'autres : Paolo Erizzo, le gouverneur de Négrepont, le — voir K.M. Setton (1978), p. 302, et infra, n. 29 — ; le patricien vénitien Geronimo Longo, mêmes lieu et moment : Domenico Malipiero, Annali veneti dall'anno 1457 al 1500, in Archivio storico Italiano, VII/1 (Firenze, 1843), p. 64 (« …è stà messo tra do tavole e segado per mezzo…») ; le gouverneur et l'archevêque d'Otrante le (voir infra, « Dernières conquêtes ») ; etc.
  30. L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 429-430 (qui l'appelle par erreur Manuel) ; Haris A. Kalligas, Monemvasia. A Byzantine city state. London & New York, 2010, p. 51-52.
  31. S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 250.
  32. L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 431-432 et n. 3500 (avec sources).
  33. Bon aperçu des faits, avec contextualisation, chez K.M. Setton, « Paul II, Venice, and the fall of Negroponte » (1978), en particulier p. 301-303.
  34. Détails et sources chez K.M. Setton (1978), p. 302.
  35. Voir notamment : F. Babinger, Mehmed the Conqueror (1978), p. 280-284 ; Antonio Coccia, « Bessarione e i discorsi ai principi », in Bessarione, Quaderno no 7, Roma, Herder, 1989, p. 213-239, spéc. p. 218-223
  36. Margaret Meserve, « News from Negroponte : politics, popular opinion, and information exchange in the first decades of the Italian press », in Renaissance Quarterly, 59/2 (2006), p. 440-480.
  37. K.M. Setton (1978), p. 303.
  38. Matei Cazacu & Kéram Kévonian, « La chute de Caffa en 1475 à la lumière de nouveaux documents », in Cahiers du monde russe et soviétique, 17/4 (1976), p. 495-538 ; http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1976_num_17_4_1277.
  39. Vatin 1989, p. 103 et 105.
  40. (tr) « Büyük Kartal Öldü. La grande aquila e morta. Prof. Celal Şengör açıklamıştı. », sur Yeniçağ Gazetesi, (consulté le )
  41. Vatin 1989, p. 103-104.
  42. Zain Khokhar, « Mehmed II », sur Encyclopédie de l'Histoire du Monde (consulté le )
  43. Vatin 1989, p. 104-105.
  44. Vatin 1989, p. 105
  45. Ayla Albarak, « Turkey’s Blockbuster Replays Istanbul Conquest, Stoking Controversy », Wall Street Journal, (consulté le )
  46. (en) Dave Trumbore, « Alex Kurtzman Confirms ‘Dracula Untold’ Is Not Canon, Teases Jekyll’s Role », Collider, (consulté le )
  47. (en) John Serba, « Stream It Or Skip It: ‘Rise of Empires: Ottoman’ on Netflix, a Quasi-Historical Blend of Documentary and Dramatic Reenactment » , in: Decider, 27 janvier 2020.
  48. Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1987-1989, Volume I p. 96 et p. 349
  49. Eric Karpeles, Le Musée imaginaire de Marcel Proust, Thames et Hudson, traduit de l'anglais par Pierre Saint-Jean, 2009, p. 40 (ISBN 978-2-87811-326-6)
  50. Piotr Kaminski, Mille et un opéras, Fayard, coll. « Les indispensables de la musique », 2003, 1819 p. (ISBN 978-2-213-60017-8), p. 1353

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
  • Franz Babinger, Mehmed der Eroberer, Munich, F. Bruckmann KG, 1953, 19592 (lire en ligne) ; Munich, Piper Kitabevi, 1987. Traduction anglaise : Mehmed the conqueror and his time, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1978, 1992.
  • Olivier Bouquet, Pourquoi l'Empire ottoman ? Six siècles d'histoire, Folio, (ISBN 2072941431).
  • Louis Bréhier, Vie et mort de Byzance. Édition de précédée d'une préface de Gilbert Dagron, Albin Michel, 1992.
  • André Clot, Mehmed II : le conquérant de Byzance (1432-1481), Perrin, , 331 p. (ISBN 978-2262007195).
  • (en) John Freely, The Grand Turk : Sultan Mehmet II-Conqueror of Constantinople and Master of an Empire, Overlook Press, , 265 p. (ISBN 978-1590204009).
  • Nicolas Vatin, « L'ascension des Ottomans », dans Robert Mantran, Histoire de l'Empire ottoman, Paris, Fayard, .
  • John Julius Norwich : Histoire de Byzance (trad. de l'anglais), Paris, Perrin, coll. « Tempus », (réimpr. 2002), 506 p. (ISBN 2-262-01890-1).
  • Agostino Pertusi (Testi a cura di –), La caduta di Costantinopoli. (I) Le testimonianze dei contemporanei. (II) L’eco nel mondo. Milano, O. Mondadori, « Fondazione Lorenzo Valla », 1976, 19902 (2 vol.).
  • Agostino Pertusi (†), Testi inediti e poco noti sulla caduta di Costantinopoli. Bologna, Pàtron, 1983 (= Il mondo medievale. Sezione di storia bizantina e slava, 4).
  • (en) Marios Philippides et Walter K. Hanak, The Siege and the Fall of Constantinople in 1453 : Historiography, Topography, and Military Studies, Farnham/Burlington (Vt.), Ashgate, , 759 p. (ISBN 978-1-4094-1064-5, lire en ligne).
  • Kenneth Meyer Setton, « Paul II, Venice, and the fall of Negroponte (1464-1471) », in Id., The Papacy and the Levant. II. The Fifteenth Century. Philadelphia, American Philosophical Society, 1978, p. 271-313.

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Liens externes

[modifier | modifier le code]