Préface
p. IX-XII
Texte intégral
1La transformation d’une thèse en livre est toujours une grande satisfaction, inévitablement pour son auteur mais tout autant pour celui qui a accompagné ce dernier au long de son parcours doctoral. Alors que le manuscrit de thèse n’est accessible qu’à quelques-uns, à commencer par les membres du jury appelé à juger de sa qualité et de sa valeur, le voilà maintenant mis à la portée de tous les membres de la communauté scientifique. Si son contenu n’est pas fondamentalement différent, devenue livre, la thèse subit une profonde mutation, ne serait-ce qu’en raison du public auquel il s’adresse.
2Le livre de Dominique Goncalvès est le fruit d’un travail de près de six ans durant lesquels se sont succédé un séjour d’une année sur le terrain cubain et deux années comme pensionnaire de la Casa de Velázquez en résidence à Séville. C’est dire que Dominique Goncalvès a su faire preuve d’une réelle capacité d’adaptation, tant à l’austérité révolutionnaire cubaine qu’au confort, plus douillet celui-là, d’une institution de recherche française à l’étranger. Cette qualité, importante pour tout chercheur de terrain, se nourrit sans doute d’un tempérament et d’une personnalité affirmés, mais surtout d’un exceptionnel sens de l’humour qu’il exerce tant sur lui-même que sur le monde qui l’entoure.
3L’ouvrage, d’une écriture à la fois fluide, claire et efficace, rigoureuse et précise, est d’une lecture très agréable et toujours aisée. Indiscutablement, l’auteur a un véritable sens de la narration. Il sait trouver le ton juste, use utilement d’un vrai sens de la formule, soigne transitions et conclusions afin de mettre en évidence les apports successifs de l’analyse. Il témoigne ainsi d’un réel souci pédagogique afin d’accompagner son lecteur dans les arcanes d’une société tout à fait originale, la rendant tout à fait accessible au non-spécialiste. À ce titre, et comme le lui disait lors de sa soutenance l’un des membres de son jury, Dominique Goncalvès possède un vrai tempérament d’historien, se montrant tout à la fois homme de terrain et d’archives mais aussi soucieux de transmettre ses découvertes.
4 La structure de l’ouvrage, tout à fait convaincante et surtout efficace, suit un plan thématico-chronologique qui s’impose ici afin de répondre à la problématique parfaitement résumée dans le titre et le sous-titre. L’objet de la thèse vise en effet à étudier les relations entretenues entre l’oligarchie sucrière cubaine et le monarque hispanique à une période où, ailleurs sur le continent, le lien colonial se trouve progressivement remis en question. En ce sens, l’ouvrage paraît à un moment particulièrement utile, alors que l’américanisme s’adonne aux délices de la commémoration, voire parfois de la célébration, des indépendances. La seconde décennie du xixe siècle a sans doute été marquée par cette crise politique majeure commencée dans une Europe que l’Empereur français voulait façonner selon ses propres considérations et conclue en Amérique par l’éclatement d’un Empire colonial. Dans le même temps, il est aussi important de garder à l’esprit que certaines régions dudit Empire firent le choix de la stabilité et de la permanence du lien colonial. Pourquoi ces spécificités, tout spécialement antillaises et plus largement insulaires ? C’est bien à cette question centrale que cette recherche apporte une réponse convaincante pour le cas de Cuba.
5L’ouvrage s’organise en trois grandes parties tout à fait équilibrées de plus d’une centaine de pages chacune. La première offre un remarquable tableau du groupe étudié. Précis et convaincant, ce dernier s’appuie notamment sur des reconstructions généalogiques remarquables par leur transcription graphique qui témoigne de la maîtrise de l’outil informatique utilisé. La deuxième partie étudie les relations entretenues par les membres de ce groupe avec la Couronne espagnole avant 1808. Elle met en particulier en évidence la politique espagnole de concession de titres qui se révèle comme l’antidote la plus efficace face à la contagion indépendantiste. Enfin, la dernière partie qui étudie cette même question après 1808 souligne la permanence de cette politique espagnole soucieuse de s’attacher la fidélité de ces « saccharocrates » comme les baptise, après d’autres et avec justesse, Dominique Goncalvès. C’est donc bien la coupure de 1808 qui est ici clairement mise en évidence tant elle permet d’éclairer la non-participation de l’Île aux divers mouvements indépendantistes qui affectent tout le reste de l’Empire.
6La réflexion développée par Dominique Goncalvès à partir d’une problématique clairement posée débouche sur la construction d’un véritable « modèle cubain » dont l’ouvrage démontre tout à la fois la spécificité et l’originalité. Si la question posée qui se trouve au cœur de ce travail n’est pas en soi nouvelle, la réponse apportée se trouve en grande partie renouvelée grâce au recours à une approche résolument originale. Pour faire bref, l’historiographie s’est essayée à y répondre à partir de plusieurs angles d’attaques : l’économique et le règne de la plantation – incarné notamment par Moreno Fraginals et Pablo Tornero Tinajero – ; le politique et la réforme de l’État colonial – étudié entre autres par Allan J. Kuethe – ; le social à travers le poids de l’esclavage, question centrale pour l’historiographie cubaine ; le littéraire enfin, tant littérature et histoire sont souvent étroitement liées en Amérique latine, comme l’illustre par exemple l’un des derniers romans de Leonardo Padura, Le palmier et l’étoile.
7 Dominique Goncalvès choisit d’apporter sa propre contribution à ce débat historiographique par le biais d’une étude des acteurs sociaux présents au sommet du pouvoir en menant une prosopographie minutieuse et une analyse des réseaux de sociabilité des élites de La Havane.
8Entre le début de la recherche et sa conclusion, l’analyse apporte une solide démonstration de l’importance des échanges, des convergences d’intérêts entre ces élites cubaines et la monarchie hispanique. D’un côté se trouve une élite très réduite, fortement endogame et, peut-être plus qu’ailleurs dans l’Empire, enfermée dans une mentalité des plus traditionnelles où l’importance de l’ostentation le dispute à la course aux honneurs et aux charges ainsi qu’à l’attrait pour la terre. De l’autre, la monarchie hispanique se soucie de répondre à ces attentes en distribuant, bien plus largement que partout ailleurs dans l’Empire, grâces et honneurs afin de conserver le contrôle d’un territoire géographiquement stratégique et économiquement rentable.
9Une fois cette démonstration faite, le « modèle » proposé ouvre alors inévitablement sur une nouvelle question : pourquoi ne pas avoir appliqué une telle stratégie ailleurs ? Bien plus, comment un tel modèle a-t-il pu prospérer en contradiction avec la politique des réformes imposée partout ailleurs par les Bourbons ? Ici entre en ligne de compte la nécessité du comparatisme afin de situer le cas cubain dans son contexte américain. Sans aller très loin et en s’appuyant sur le déroulement du processus indépendantiste dans une région voisine, on peut mettre à l’épreuve ce « modèle cubain » en Amérique centrale. Cette dernière constitue en effet un véritable contre-exemple par rapport à Cuba. Comme elle à la fin du xviiie siècle, la région connaît un vif dynamisme économique, fondé ici sur l’exportation de l’indigo qui se traduit par un processus de renforcement du lien colonial incarné par ses élites marchandes regroupées à la fin du siècle dans le Consulado nouvellement créé. Pourtant, les élites régionales centre-américaines, tout aussi soucieuses de leur prestige que les havanaises, ne se virent octroyer qu’un seul titre de noblesse avant 1821 ! En ce sens, on peut considérer que l’indépendance est loin d’avoir été une aspiration « naturelle » parmi les élites coloniales mais bien une réponse, sans doute parmi d’autres, au traitement que leur réservait la métropole. On peut alors considérer que la « spécificité » havanaise se situerait dans le traitement accordé à ce territoire : modeste par la taille mais stratégiquement essentiel à la maîtrise de la route transatlantique et à la protection de la Nouvelle-Espagne, il bénéficie d’une application jusqu’au-boutiste d’un mode de gouvernement fondé sur la recherche du consensus, élément clé du pacte colonial mis en place au cours du xvie siècle. Systématisé par les Habsbourg, c’est ce pacte qui se trouve être progressivement remis en question par les réformes des Bourbons, conformément à l’interprétation proposée depuis longtemps par J. L. Phelan, alimentant frustrations et rejets chez les élites créoles. Si les études portant sur les élites administratives et politiques coloniales ont fortement nuancé ce schéma initial, l’étude de Dominique Goncalvès vient au contraire et in fine, à travers le cas cubain, le renforcer. Il resterait alors à explorer les raisons qui, à Madrid même, poussèrent à la mise en place de ce traitement spécifique réservé à l’Île et à ses élites. Cela passe probablement par une reconstitution systématique des réseaux havanais de Madrid, maintenant indispensable à la compréhension globale de cette originalité cubaine. C’est là un des prolongements possibles à cette belle recherche sur les élites havanaises qui permettra alors de saisir pleinement l’articulation des réseaux sociaux entre l’Île et sa métropole.
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