Préface
p. 9-11
Texte intégral
1Qui se souvient, aujourd’hui du Club des Jacobins, non pas certes celui de la Révolution française, mais celui qu’un petit groupe d’amis fonda, en décembre 1951 ? Pourtant, le fondateur du club, le journaliste radical lyonnais Charles Hernu, proche de Pierre Mendès France et de François Mitterrand, a joué et joue encore un rôle politique considérable. Bien des membres et des proches du club ont tenu une place dans l’histoire de la vie politique française contemporaine. Surtout le club des Jacobins apparaît comme une composante de la nébuleuse « mendésiste ». Au reste, Philippe Reclus avait songé à un mémoire de maîtrise sur le mendésisme, sujet déjà passablement défriché, et il parut plus utile d’orienter son travail vers le club de Charles Hernu et son destin sous la IVe République.
2Croisant les entretiens avec un certain nombre de témoins et l’analyse du journal Le Jacobin, et de diverses publications, l’auteur a su reconstruire une histoire qui n’a guère laissé d’archives. Peut-être, avec plus de temps, aurait-il pu aborder d’autres témoins, exhumer d’autres documents. Cependant, faisant preuve d’une réelle sensibilité aux questions qu’il aborde, Philippe Reclus apporte une contribution à la connaissance du radicalisme sous la IVe République et éclaire le fonctionnement d’un club politique. Surtout il discerne, dans le club des Jacobins, l’affirmation d’une nouvelle génération politique. Tout historien du radicalisme sait bien que l’histoire de celui-ci est faite de tentatives de retour aux sources. On le vit entre les deux guerres mondiales avec les « Jeunes Turcs », on le vit encore quand, face aux radicaux de gestion de la IVe République, une petite équipe voulut renouer avec la « tradition jacobine et républicaine » : La symbolique révolutionnaire : le bonnet phrygien, la référence affirmée à Robespierre et à Saint-Just, la volonté de fonder une « République pure et dure », l’exaltation de la vertu et de la morale politique, tels sont les traits de cet esprit jacobin que Charles Hernu et ses amis s’efforcent de faire revivre.
3Leur ambition première est de rénover le Parti radical. Par là, le club des Jacobins se distingue des clubs nés sous la Cinquième République qui situent leur action et leur réflexion hors des partis politiques. Les Jacobins veulent, au contraire, peser sur le Parti radical en le faisant revenir à ses origines. Somme toute, le club offre une structure souple, propice à l’affirmation d’une famille d’esprit du radicalisme. Il permet aussi la libre confrontation des idées et l’accueil d’orateurs divers, de Michel Debré à Robert Buron et à François Mitterrand. Surtout, dans le club, s’exprime la colère, devant l’impuissance et les compromissions de la Quatrième République, d’une génération d’hommes qui ont la trentaine au début des années 50, même si, autour de Charles Hernu, figurent des personnalités plus âgées, Gaston Maurice ou Georges Bérard-Quélin, éminences grises de l’histoire du radicalisme. Les membres des professions libérales, les cadres du secteur privé, les hauts fonctionnaires, comme Alain Gourdon, des officiers : le futur général Jacquot donne sous pseudonyme, des articles sur les questions de défense, telles sont les catégories dans lesquelles recrute le club. Il aurait compté de 6 à 700 adhérents en 1953, pour dépasser 2000 lors de la vague du « Front Républicain » en 1956. Le club, dans sa genèse comme dans son histoire, a des liens privilégiés avec les loges maçonniques, encore que tous ses dirigeants ne soient pas maçons. Les collaborateurs du journal travaillent dans un climat de fraternité démocratique qu’évoque plaisamment Le Jacobin : « en bras de chemise, dans l’odeur des vieilles pipes et des gauloises, dans une agitation de nœuds papillons ».
4Les Jacobins ont une certaine idée de la politique : « Le Jacobin, écrit Hernu, dit la vérité, aussi impopulaire soit-elle, car il a finalement confiance dans le jugement des citoyens », mais ils n’ont pas, en propre, un système d’idées. C’est pourquoi l’étude du contenu doctrinal du journal est finalement décevante : restaurer l’autorité de l’exécutif sans mettre en cause la République parlementaire, rechercher l’union de la gauche, rien là de bien original. L’hostilité aux guerres coloniales et la faveur pour un certain neutralisme, valurent aux Jacobins l’opposition des radicaux de gouvernement. Ils prirent position contre la Communauté européenne de défense parce qu’ils refusaient à la fois le réarmement allemand et l’intégration européenne. Malgré leur sympathie pour Pierre Mendès France, ils sont réservés face aux accords de Paris.
5L’un des apports de Philippe Reclus est de montrer que l’histoire du club ne se réduit pas à la prise en main du Parti radical par Pierre Mendès France et d’établir que le club apporta son soutien à celui-ci avant l’Express. Les Jacobins surent très tôt déceler en Pierre Mendès France l’homme d’État républicain dont ils rêvaient. A partir de 1954, le club joue le rôle de structure de regroupement des mendésistes. Après le 4 mai 1955, quand Mendès prend en main le Parti radical, les dirigeants du club sont dans l’appareil du parti. Lors des élections de 1956, une dizaine de députés proches du club sont élus, dont Hernu, Hovnanian, Naudet. Ce petit groupe va être jusqu’au bout fidèle à Pierre Mendès France, à travers bien des déceptions, au long des deux dernières années de la IVe République, de l’échec du Front républicain et de la tentative de rénovation du Parti radical.
6Ce serait une autre histoire que de suivre le destin du club sous la Ve République, de l’Union des Forces démocratiques à la Convention des Institions républicaines et au Parti socialiste. Tous les amis du club ne firent pas, du reste, l’itinéraire de Charles Hernu. Certains, du journaliste Philippe Atger aux parlementaires Jean de Lipkowki et Pierre Naudet, virent dans la Cinquième République l’incarnation de leurs aspirations, tant il est vrai qu’entre un certain radicalisme et un certain gaullisme il est une même origine jacobine. Charles Hernu, en juillet 1955, ne rapprochait-il pas Pierre Mendès France et de Gaulle pour avoir tous deux « parlé de la France en véritables hommes d’État qui refusent d’être les prisonniers des féodalités et des préjugés de tous ordres » ?
7Ces quelques notations suffisent à dire l’intérêt du travail de Philippe Reclus, premier essai certes, mais qui vaut par le sens des problèmes, l’indépendance du jugement et la justesse de l’expression.
Auteur
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