Visite du Pape en Belgique

Entre désillusion et espoir : les ressentis contrastés des victimes d’abus sexuels après leur rencontre avec le Pape

Jean Marc Turine et Anne-Sophie Cardinal après la rencontre avec le Pape, vendredi 27 septembre 2024

© Françoise Berlaimont/RTBF

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InfoPar Cynthia Deschamps sur base d'une interview de Françoise Berlaimont

Le Pape a rencontré des victimes de violences sexuelles dans l’Église vendredi soir. Il leur a notamment présenté ses excuses au nom de l’institution religieuse. Le pape François, 15 victimes, deux psychologues et deux traducteurs étaient présents lors de cette rencontre, qui s’est déroulée à la nonciature apostolique de Bruxelles. L’entrevue a duré deux heures et quinze minutes, au lieu d’une heure comme prévu initialement.

Anne-Sophie Cardinal et Jean Marc Turine faisaient partie de ces victimes qui ont pu rencontrer le souverain pontife. Tous les deux sont aussi signataires de la Lettre ouverte universelle au Pape, qui demande au chef de l’Église catholique de s’adresser à toutes les victimes dans tous les pays et de reconnaître la culpabilité de l’Église. Ils ressortent de cette rencontre avec des sentiments très différents.

"Tu es homme avant d’être Pape"

Jean Marc Turine a été violé par plusieurs Pères jésuites du Collège Saint-Michel d’Etterbeek lorsqu’il était adolescent. Pour lui, cette rencontre avec le Pape n’a rien changé : "Je suis convaincu qu’on n’a pas eu de réponse". À sa question sur la responsabilité de l’Église, le Pape a répondu : "C’est qui l’Église ?". "Puis il a tourné autour du pot en disant 'Ce n’est pas le Pape, ni les évêques, c’est tout le monde, c’est toi, c’est toi aussi'", déplore l’écrivain. "Il ne se sent responsable de rien. Il demande pardon, il dit qu’il a honte et que ça lui fait mal au cœur. Ça nous fait une belle jambe…"

Comme d’autres victimes, il a pourtant demandé des actes concrets, comme par exemple une compensation financière, "qui au moins permettrait aux gens d’aller se faire soigner chez les psychiatres". "Il y avait aussi une demande qu’il y ait dans les évêchés une cellule d’écoute permanente tenue par des professionnels et que, s’il y a compensation financière, la gestion des biens soit gérée de manière indépendante en dehors de l’Église", explique l’homme de 78 ans.

Il n’est pas déçu pour autant par cette rencontre puisqu’il n’avait pas d’attentes particulières. Il se "doutait bien qu’il n’allait rien se passer". Mais alors pourquoi avoir fait le déplacement ? "Je ne suis pas chrétien", répond Jean Marc Turine. "Mais c’est plus important pour moi de rencontrer le Pape, qui est à la tête d’un peuple d’1,378 milliard de croyants, qu’un président de la République."

Car cet homme, selon lui, représente l’espoir pour les croyants, et encore plus pour toutes les victimes de violences sexuelles commises par le clergé. "J’ai l’impression que si on n’a pas quelque chose à la messe de dimanche, cela va être assez désespérant pour tout le monde, mais peut-être encore plus pour quelques personnes qui étaient là et qui vraiment mettent tout leur espoir dans cet homme. Comme elles n’ont pas été écoutées par des curés, par des évêques, par des archevêques, elles se disent 'il n’y a que le Pape'."

C’est pourquoi Jean Marc Turine lui a lu un texte qu’il a écrit, "où je le tutoie d’homme à homme, en le regardant dans les yeux, en lui disant : 'Tu es homme avant d’être Pape'." "Je lui ai dit : 'Tu vas trouver les mots au fond de tes tripes. Ces mots, tu vas les sortir de toi, de ton cœur, de ton âme'", ajoute-t-il.

"Cet homme est capable, en quelques mots, de vous faire voir de la lumière là où il n’y en a plus"

Cette rencontre n’a donc pas changé sa vie mais il est d’avis que, pour les autres survivants qui ont parlé au Pape, la rencontre a été "efficace". "Ce sont toutes des personnes croyantes et pratiquantes, malgré tout ce qui est arrivé. Ça me semble impossible, mais c’est comme ça. Et oui, je pense que pour elles, c’était important de rencontrer cet homme qui a été effectivement très attentif à ce qui a été dit, très doux."

C’est le cas d’Anne-Sophie Cardinal. Entre 1990 et 1991, elle a été violée à plusieurs reprises par le curé de sa paroisse alors qu’elle était enfant de chœur. Ses souvenirs sont remontés à la surface 30 ans après les faits. Cette rencontre a été pour elle "très éprouvante mais, en même temps, une véritable libération". "J’ai vraiment compris qu’à travers cette rencontre, j’allais pouvoir revivre", se confie-t-elle. "C’est vraiment ça. J’ai eu toute ma vie l’impression que l’Église m’avait détruite. Et en une seule rencontre, ses paroles, sa manière de faire, tout ça m’a reconstruite."

"J’ai vraiment reconnu un frère et jamais dans l’Église catholique, on ne m’a parlé comme ça", déclare la professeure de religion catholique et de sciences sociales dans une école secondaire à Saint-Ghislain. "Jamais. Que ce soit les prêtres, les évêques, les archevêques, jamais. Il a cette force en lui qui est capable de dire aux montagnes : 'Mais déplacez vous, allez vous jeter plus loin', elles le feront. Et c’est cet homme qui a les épaules pour le faire, qui peut changer aussi le regard que les gens ont sur l’Église catholique. Aujourd’hui, on voit que l’Église catholique perd progressivement de son aura. Les gens manquent de confiance, se rendent compte qu’après notamment les histoires des abus, c’est difficile de refaire confiance. Mais cet homme est capable, en quelques mots, de vous faire voir de la lumière là où il n’y en a plus."

Une lutte "personnelle"

Lors de son discours au château de Laeken vendredi matin, le Pape a prononcé le mot "crime" au lieu de "péché" pour qualifier les abus sexuels. Une première qui a marqué les esprits.

Il a continué sur cette lancée devant les victimes rassemblées vendredi soir puisqu’il a promis de lutter personnellement contre les abus dans l’Église. "Il veut vraiment prendre les choses en main", confirme Anne-Sophie Cardinal. "Il nous a clairement montré que, pour lui, il n’y avait pas de prescription possible pour des abus sexuels dans l’église et qu’il prenait en compte toute cette responsabilité. Pour lui, les prêtres sont responsables. Mais si au-dessus d’eux les évêques n’interviennent pas, ils sont aussi responsables. Donc ce n’était pas juste un pardon qui nous est donné. C’est une promesse, vraiment."

Quant aux compensations financières, "on a demandé une revalorisation, en tout cas au niveau de l’indemnisation des victimes", relate la jeune femme. "On n’a pas parlé de montants en tant que tels, mais on est bien au clair sur le fait. Et lui aussi est bien au clair sur le fait que ce qui a été réalisé et obtenu pour le moment est totalement insuffisant."

Enfin, le pape François a confié aux victimes qu’il ne recevait pas toujours les courriers qui lui étaient adressés au Vatican. Il leur a donc conseillé, affirme Jean Marc Turine, de lui écrire directement à son adresse de la Casa Santa Marta.

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