Je
viens de terminer la lecture d’un livre tout à fait étonnant. Ce n’est
pas un roman, ni même un récit ; ce n’est pas de
la poésie ni du théâtre ; ce n’est pas non plus un essai. Non :
c’est de la botanique parallèle. Ce qui signifie que ce n’est pas non
plus de la botanique – car il m’arrive aussi, je le
confesse, de lire de la botanique. Quand la littérature me gonfle ou
me déprime, c’est comme une respiration, je lis de la botanique. Ou de
la zoologie. Ou de la mycologie. Aucun règne ne
m’arrête. Mais là, ce n’est donc pas non plus à proprement parler de
la botanique : c’est de la botanique parallèle. D’ailleurs c’est écrit dessus, en lettres d’un magnifique vieil
argent : LA BOTANIQUE PARALLELE.
Le
titre n’est pas mensonger ; car tel est, en effet, le sujet de ce beau
livre (on pourrait aussi, pourquoi pas, être
tenté de le classer dans la catégorie des « beaux livres », de ceux
qu’on offre pour les fêtes, tant en effet il est beau, et illustré qui
plus est). Le titre n’est pas mensonger, et le
contenu en effet joue essentiellement de son rapport à la réalité,
cette chose que l’homme à toute force prétend saisir, au point d’avoir
développé des membres aux capacités préhensiles d’une
extrême finesse, et même le cerveau qui va avec, histoire de mieux
sentir combien elle lui échappe, cette réalité. A preuve : cette botanique parallèle.
Car
il existe – ou plutôt il pourrait exister –, nous dit Leo Lionni, tout
un règne inaperçu, ou entraperçu du coin de l’œil au
fil des siècles. Leo Lionni, donc. Le texte est de Leo Lionni. Les
illustrations, superbes, sont de Leo Lionni. Je vous le dis parce que je
l’ai lu. Car Leo Lionni fait tout pour nous le faire
oublier, pour se faire oublier. Son objet est bien trop vaste. Un
règne, donc, disais-je : celui des plantes parallèles. Ces plantes qui
n’en sont pas, qui n’en sont plus, qui n’existent pas
mais dont pourtant on nous présente les traces, les
caractéristiques, les circonstances de leurs découvertes, les légendes
qui s’y rattachent. « Qui n’existent pas » n’est sans doute
pas bien dire, car elles existent plutôt dans un temps arrêté,
constituent un règne par leur caractère organique et en même temps
relèvent du non-vivant sans pour autant être mortes.
Le
livre lui-même se présente comme une somme, l’état des connaissances en
matière de botanique parallèle à l’époque de sa
première publication dans les années 70. Les plantes y sont
minutieusement décrite, nommées – les noms vernaculaires, tirelles,
solées, tournelunes ou pinces des bois, y côtoient les appellations
scientifiques linnéennes, Tirillus maculatus, Sigurya barbulata, Taluma labirintiana et autres Camporana erecta,
car comme le disait un conseiller en
horticulture de ma connaissance, sans le latin il n’est pas possible
de savoir de quoi l’on parle. La dimension narrative cependant n’est
pas absente de la Botanique parallèle, car
chaque découverte est une aventure, parfois tragique, toujours
troublante par ce qu’elle révèle. Comme par ailleurs l’homme a toujours
côtoyé les plantes parallèles qui peut-être n’attendaient
que lui pour accéder à un degré supérieur de matérialité, il est bon
de se plonger dans telle légende wombasa, en Afrique, où il est
manifestement question de la tournelune, ou de lire la fable,
bien connue au Tarzistan puisqu’elle a pour cadre le village de
Zibersk, du Tchavo aux feuilles d’argent, qui n’est autre, à
n’en pas douter, selon les dernières découvertes, qu’une
solée, l’un des cas les plus troublants de plantes parallèles. Cette
fable nous est d’ailleurs rapporté par Leo Lionni, le célèbre auteur de
livres pour enfants qui, nous dit une note, « n’a
rien à voir avec l’auteur de ce livre ».
La fameuse Sigurya barbulata, dessinée par Leo Lionni.
Alors ceci n'avait pas dû t'échapper non plus.