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jeudi 6 août 2009

lu dans l’album de timbres

Bianca la merveilleuse est une énigme pour moi. Je l’étudie avec obstination, avec acharne­ment – et avec désespoir – dans l’album de timbres postaux. Comment ! Cet album traite­rait-il également de psychologie ? Naïve ques­tion ! L’album est un livre universel, un livre de référence qui englobe tout le savoir humain. Évidemment, il le cache derrière des allusions, sous-entendus. Il faut un certain flair, un certain courage du cœur et de l’esprit pour retrouver la trace de feu, l’éclair qui parcourt ses pages.
Ce qu’il faut éviter dans ce domaine, c’est la mesquinerie, le pédantisme, le plat mot à mot. Tous les éléments sont reliés entre eux, tous les fils se rejoignent dans le même nœud. Avez-vous remarqué qu’entre les lignes de certains livres des hirondelles passent en foule, des versets d’hiron­delles pointues et frémissantes ? Il faut lire dans le vol des oiseaux…
Mais je reviens à Bianca. Quelle beauté émou­vante dans ses gestes ! Chacun d’eux est réfléchi, déterminé depuis des siècles, assumé avec résigna­tion, comme si elle-même connaissait d’avance le déroulement inévitable de son destin. Il arrive que j’essaie de la questionner des yeux – lorsque nous nous rencontrons face à face dans une allée du jar­din –, que je tente de formuler ma prière. Avant que j’y sois parvenu, elle y a déjà répondu. Elle a répondu tristement, par un seul regard bref et pro­fond.
Pourquoi tient-elle la tête penchée ? Que regar­dent ses yeux attentifs et songeurs ? Le fond de son destin serait-il d’une insondable mélancolie ? Malgré tout, ne porte-t-elle pas sa résignation avec dignité, avec orgueil, avec la certitude qu’il ne peut en être autrement, et comme si la sagesse, en la privant de joie, l’avait rendue invulnérable, l’avait dotée d’une liberté supérieure, découverte tout au fond de l’obéissance volontaire ? C’est ce qui donne à sa soumission le charme du triomphe.
Elle est assise en face de moi, à côté de sa gou­vernante, elles lisent toutes les deux. Sa robe blanche – je ne l’ai jamais vue habillée d’une autre couleur -, fleur épanouie, s’étale sur le banc. Elle croise avec une grâce indescriptible ses jambes élancées à la carnation basanée. Le contact de sa chair doit être douloureux dans sa sainteté.
Puis elles se lèvent toutes les deux ayant refermé leurs livres. D’un bref regard Bianca accepte et me retourne mon salut, et elle s'éloigne, légère, tout en méandres, ses jambes épousant mélodieuse­ment le rythme des grands pas élastiques de la gouvernante.
 
Bruno Schulz, Le printemps, XX.