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vendredi 19 août 2011

une stratégie d’évitement

« Vous savez, ce qui importe beaucoup, et qu’un lecteur ne voit pas, ce sont les handicaps auxquels se heurte un auteur lorsqu’il écrit. Tout ce qu’il ne sait pas faire, ou ne réussit pas ; tout ce qui le pousse à contourner tel ou tel obstacle… C’est, entre autres, grâce à la stratégie d’évitement que se construisent un regard et une écriture. Je vois là des similitudes avec le travail des écrivains placés en situation de dictature. Ils arrivent toujours à parler des questions les plus délicates, bien que ce soit interdit. Ils trouvent un biais. Au lieu d’aller directement d’un point à un autre, ils vont faire des détours. (…) La censure, d’une certaine façon, était leur meilleure alliée littéraire car elle les stimulait, les aidait à trouver des portes dérobées pour faire passer leur art en contrebande. Les handicaps, c’est comme la censure. Il faut voir en eux des sortes d’« alliés objectifs ». Mon handicap, je ne sais pas concrètement en quoi il consiste, peut-être en une incapacité à créer de vrais personnages ; de ce fait, je vais écrire autour d’eux, les créer en creux, comme la Solange Brillat des Lumières fossiles, qui est le personnage principal mais n’apparaît jamais. »
 
C’est Eric Faye qui parle, et qui répond à Pascale Arguedas, dans un très beau livre à la reliure chinoise (c’est publié aux  éditions du Petit Véhicule), où elle s’entretient, outre Eric Faye, avec Denis Grozdanovitch, Jean-Bertrand Pontalis, Jean-Claude Lebrun, Sabine Wespieser, Michel Volkowitch, Fabienne Raphoz et Stéphane Beau. (Il y a aussi un premier tome, à découvrir ici.)
Conversations ou la Libre Parole, c’est le titre. En lisant les lignes ci-dessus, je me disais que donner la parole à un auteur, c’est parfois donner la parole à plusieurs.
 
On tire encore une fois le rideau sur les Hublots pour quelques jours.


Commentaires

Et que dire des handicaps auxquels se heurte le lecteur quand il lit!
Commentaire n°1 posté par Dom A. le 19/08/2011 à 22h00
Idem : il faut qu'il en tire avantage. (Ne me demandez pas comment !)
Réponse de PhA le 19/08/2011 à 22h07
Je sens que je vais me mêler de cette conversation.
Commentaire n°2 posté par Zoë Lucider le 26/08/2011 à 12h47
Mêlez-vous, Zoë ; mêlez-vous !
Réponse de PhA le 27/08/2011 à 17h17
Je vous signale que sur le site de l'éditeur, on parle de reliure "à la chinoise" (=_=). Et vous devez savoir que les Chinois n'aiment pas être confondus avec les Japonais (^_^).
Jedisça jedisrien.
"A la chinoise", j'achète:)
Commentaire n°3 posté par Ambre le 27/08/2011 à 14h44
Je ne vais pas chinoiser, je préfère corriger !
Réponse de PhA le 27/08/2011 à 17h19
Oh! Je ris parce que vous avez corrigé:)
Commentaire n°4 posté par Ambre le 27/08/2011 à 18h38
Je ne voudrais pas envenimer les relations sino-japonaises.
Réponse de PhA le 27/08/2011 à 19h54
Une des choses commodes, dans l'écriture, est la possibilité de (se) corriger.
Commentaire n°5 posté par Dom A. le 27/08/2011 à 19h29
C'est justement pour ça qu'en ce moment, je travaille - notamment - sur le refus de cette possibilité. Mais pas sur le blog, quand même ; faut pas pousser !
Réponse de PhA le 27/08/2011 à 19h57
Elle est chouette l'affiche de La fête de l'Huma : une belle rebelle!
"Ecrire sans se corriger" : une superbe idée PhA.
Commentaire n°6 posté par Ambre le 27/08/2011 à 21h28
Un petit détour par la Fête de l'Huma cette année encore, Ambre ?
Réponse de PhA le 28/08/2011 à 12h38

mardi 24 août 2010

quelqu’un vient de s’introduire chez moi pour se faire du thé

 
Avant de sortir, je me suis assuré que la caméra fonctionnait et que toutes les issues étaient bouclées. Evidemment, la femme avait sans doute fait faire un double de la clé, et si elle tenait à revenir… La seule solution, pour ma part, consistait à ne pas relâcher ma surveillance. Au fil de la matinée, à force de guetter, j’ai commencé à me rassurer. J’avais soigneusement tout vérifié, tout était bien fermé chez moi. Nul ne pouvait entrer. Aucun passe-muraille ne s’octroierait de passe-droit. Je reprenais confiance. Sans abandonner un instant ma place, je réussissais à travailler presque normalement. Personne ne me dérangeait ; aucune réunion n’était au programme. Je m’étais acheté un bento, un paquet de prunes marinées dans du sel et deux Kirin au Family-Mart en bas de chez moi, pour déjeuner seul ici dès que les collègues se seraient égaillés, à la pause. Il était onze heures trente, maintenant, et tout allait pour le mieux. Et tout aurait pu durer ainsi jusqu’à l’heure de sortie des bureaux. Soudain – j’avais quitté ma cuisine des yeux quelques secondes afin de modifier la dernière carte en date de la mer intérieure –, j’ai surpris une forme, et cette forme ressemblait fort à celle de la veille. Mais cette fois, elle ne bougeait pas. Comment avait-elle pu ?? C’était de la sorcellerie. Je n’y comprenais rien. Debout, près de la fenêtre ensoleillée, elle remplissait d’eau la bouilloire. Je la tenais. Sans réfléchir, j’ai décroché et composé un numéro d’urgence. Police ? Je parlais fort et, parlant fort, ne m’apercevais pas à quel point j’ameutais le bureau. Des collègues que d’ordinaire rien ne détournait de leurs écrans (à quoi bon mettre au point de coûteux robots, puisqu’ils existent déjà ?) allongeaient le cou, haussaient les sourcils, échangeaient des regards à ce seul mot prononcé sur un ton empressé, anxieux, police ? comme si un crime venait d’être commis dans notre service, qui leur avait échappé et dont ils avaient révélation en tendant l’oreille. Police ? Shimura Kōbō à l’appareil. (J’ai décliné mon adresse personnelle.) Quelqu’un vient de s’introduire chez moi. (Et je me suis gardé d’ajouter pour boire un thé). A l’instant. Je la surveille – c’est une femme – grâce à une webcam. Non, elle ne semble pas armée et évolue sans méfiance…
 
Eric Faye, Nagasaki, Stock, 2010, p. 36-37.
 
Eh bien je ne regrette pas cette lecture du dernier livre d’Eric Faye, premier pour moi – je ne l’avais jamais lu, retenu peut-être inconsciemment par la couverture bleu marine d’une collection qui n’avait pas attiré mon attention jusqu’à présent. Eric Faye est pourtant né en 1963, excellent millésime ; d’ailleurs rasez-lui le crâne et enlevez-lui ses lunettes : il me ressemble un peu. Plus sérieusement, si je m’empare ainsi de la personne de l’auteur, c’est que ses préoccupations me parlent : la découverte de la présence quasi occulte d’autrui comme révélateur d’un manque intérieur jusque là masqué ; et ce bel échange de personnages, chacun absent pour l’autre, elle d’abord, lui ensuite. Et puis ce récit toujours en point de vue interne, qui laisse au lecteur la suggestion d’un doute sur ce qui est dit, comme une dimension fantastique gommée, alors que précisément on nous prévient d’emblée que ce roman est inspiré d’un fait divers authentique. On pourra en lire plus sur Remue.net, chez François Bon, un peu partout sur la Toile, et écouter l’auteur ici.


Commentaires

Après avoir lu ces extraits et écouté parler l'auteur, moi aussi j'ai bien envie de lire ce livre, alors que j'aurais pu passer à côté à cause de l'éditeur. Preuve qu'à partir d'un fait divers on peut écrire un bon roman : sans remonter jusqu'à "De sang froid", je pense à "Sévère" de Jauffret que j'avais beaucoup aimé.  
Commentaire n°1 posté par Marianne Desroziers le 24/08/2010 à 09h28
J'aime vraiment beaucoup, je continuerai à lire Eric Faye. (C'est dommage cette pratique de certaines grosses maisons de tout mélanger sous la même couverture, ça leur fait perdre de la crédibilité.)
Réponse de PhA le 24/08/2010 à 09h57
Cette intrusion fascinante, ce double fantômatique... ( Eric Faye, votre jumeau négatif ?)
Commentaire n°2 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 24/08/2010 à 10h03
Et figurez-vous qu'il m'arrive aussi de porter des lunettes - mais elles me gênent pour lire - et parfois même des cheveux ! (mais de plus en plus rarement, je dois dire)
Réponse de PhA le 24/08/2010 à 10h15
J'en suis resté à Jean-Pierre Faye, j'ignore s'il y a un lien de parenté (ou une sorte de double descendant).
L'heure des caméras dans les lieux privés et publics sonne : chacun est acteur et le metteur en scène français, non content de voir sa femme tourner, avec quelques difficultés, dans un film de Woody Allen, s'échine à vouloir montrer son savoir-faire de Little Brother.
Lunettes noires pas encore interdites !
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 24/08/2010 à 10h08
Il y a des pages très bien vues sur cet homme regardant à distance son intérieur désert.
Réponse de PhA le 24/08/2010 à 10h21
"C'est dommage cette pratique de certaines grosses maisons de tout mélanger sous la même couverture, ça leur fait perdre de la crédibilité."
Vous avez tout à fait raison, plus justement je suis d'accord avec vous.
Vous savez, il arrive que tout finisse par se ressembler, à l'instar de ces petits bocaux à épices dans la cuisine, alors, tôt ou tard, on finit par se tromper en mettant n'importe quoi dans la gamelle : c'est rarement heureux, c'est souvent immonde. Or, quitte à se nourrir, autant bein manger.

Commentaire n°4 posté par Chr.Borhen le 24/08/2010 à 10h21
On sait bien quelle logique est à l'oeuvre, mais tout de même. La collection est supposée être une indication, le lecteur devrait pouvoir lui faire confiance. Je comprends qu'on publie aussi autre chose, pourquoi pas, il en faut pour tous les goûts ; mais qu'est-ce qui empêche d'avoir pour cela d'autres collections ? Bien sûr la Bleue de Stock est loin d'être seule en cause.
Réponse de PhA le 24/08/2010 à 10h28
Permettez-moi de vous conseiller l'excellent Quelques nobles causes pour rébellion en panne et il me souvient que j'avais beaucoup aimé son Parij, un peu plus ancien toutefois.
Commentaire n°5 posté par r1 le 24/08/2010 à 16h36
Conseil reçu !
Réponse de PhA le 24/08/2010 à 17h45
La parenté est évidente! J'ai même cru que c'était de vous - au titre et premières lignes. (Car ce "petit" a encore du chemin à faire avant de vous arriver à la cheville!;)
Commentaire n°6 posté par Depluloin le 24/08/2010 à 18h01
Je n'irais tout de même pas jusque là ! (notamment pour ma cheville, vous savez combien elle est sensible)
Réponse de PhA le 24/08/2010 à 18h18
Ca vous ressemble, il est vrai. Bon on ira vérifier
Commentaire n°7 posté par Zoë le 24/08/2010 à 23h36
Vous trouvez aussi ?
Réponse de PhA le 25/08/2010 à 10h11
J'arrive un peu tard mais je ne regrette pas. La lecture de cet extrait m'enthousiasme complètement, je n'en resterai pas là cette fois!
Commentaire n°8 posté par Ambre le 25/08/2010 à 21h29
Je crois qu'on tient qu'un très bon auteur. (Ce n'est un scoop que pour vous et moi : je crois qu'il publie depuis plus de quinze ans !)
Réponse de PhA le 25/08/2010 à 23h08
Oh je n'avais pas lu les commentaires! Mais oui Philippe, j'ai cru que c'était vous. reste à lire le livre pour vérifier qu'il s'agit bien d'un autre;o)
Commentaire n°9 posté par Ambre le 25/08/2010 à 21h30
A ce point ? (mince alors !)
Réponse de PhA le 25/08/2010 à 23h09
Juste les premières lignes... ;o)
Commentaire n°10 posté par Ambre le 25/08/2010 à 23h15
Ai beaucoup aimé ce livre d'Eric, comme les précédents, d'ailleurs. J'attends le dernier Javier Cercas, espérant que Munoz Molina nous honore aussi d'un prochain ouvrage. Il y a du beau monde en Espagne, aussi.
Commentaire n°11 posté par Pascale le 31/08/2010 à 14h27
C'est un peu grâce à toi si je le découvre, d'ailleurs. Merci !
Réponse de PhA le 31/08/2010 à 14h51
De rien et ravie qu'il te plaise !
Commentaire n°12 posté par Pascale le 31/08/2010 à 15h04