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lundi 10 août 2009

comme si le nom refusait de se nouer au visage

Je me souviens de l’air vague, presque hagard, avec lequel les instituteurs de mon enfance nous fixaient en répétant nos prénoms qu’ils entendaient pour la pre­mière fois. « Frédéric »… « Frédéric »… « Nathalie »… « Nathalie »… Avec des hochements de tête pénétrés qui donnaient aux premiers jours de l’année scolaire une tonalité un peu gâteuse.
J’en sortais avec la sensation d’une identité flottante. Comme si les syllabes de mon prénom avaient perdu leur sens et que les traits de mon visage s’étaient brouillés.
 
Je ne garde en mémoire ni les noms ni les prénoms. Cette petite amnésie est une source d’ennuis considérables. Mais plus je me concentre sur les noms, moins je les capte. Au moment où mon interlocuteur se fait connaître, j’ai beau déployer toute mon attention, je ne perçois que des syllabes creuses, interchangeables. Comme ces trains qu’on attend depuis trop longtemps et dont on rate le passage.
 
Un nom sur un visage : il y a quelque chose d’excessif dans cette double détermination. Et c’est pour moi comme si elle refusait de prendre forme, de se fixer. Comme si le nom refusait de se nouer au visage.
 
Philippe Garnier, Une petite cure de flou, PUF, 2002, p. 52-53

Encore un peu de flou pour la route. Effet possible de notre prénom commun si commun dans notre commune génération, je pourrais reprendre à mon compte tout ce qui est si bien dit là. 



Commentaires

c'est vrai que vous êtes nombreux avec ce prénom (faudrait voir si Piero - le mien - est plus usité...) mais en même temps, qu'avez donc vos parents à vous intituler de la sorte si vous ne vous en souvenez pas ? Ah, non, c'est le traitement que vous réservez aux autres?... Ah oui, d'accord...
:°))  
Commentaire n°1 posté par PdB le 10/08/2009 à 23h14
Les plus nombreux de notre génération, et maintenant en voie de disparition.
Mais vous ne croyez pas si bien dire : ce traitement que nous réservons aux autres, c'est d'abord notre lot personnel (au moins le mien). Combien de fois, dans la journée, ne suis-je pas surpris de m'entendre appeler par mon prénom ! (Même outre-montagnes, je doute que vous autres Piero soyez aussi nombreux que nous pour une même classe d'âge.)
Commentaire n°2 posté par PhA le 10/08/2009 à 23h40
Piero est un prénom d'emprunt (d'au delà des Alpes, en effet) mais ça ne m'étonne pas que fassiez le même usage de votre amnésie pour vous-mêmes : et en rêve ?
Commentaire n°3 posté par PdB le 10/08/2009 à 23h47
En rêve - bonne question - je le porte rarement, mon prénom ; mais il m'arrive, figurez-vous, de le prêter à un compagnon de hasard, bien distinct de moi-même, revenu d'autrefois.
Réponse de PhA le 11/08/2009 à 09h25
Tout d'abord ce titre extraordinaire. Cet appel du nom auquel il faut répondre présent. (Ce nouvel exercice de se trouver un pseudonyme comme "Depluloin" et y trouver son compte.)

Cher CFRA, pardon, je vous admire à rester ainsi à l'affût. Comment faites-vous? Vous ne buvez jamais que de l'eau? Faites des exercices physiques?

Parfois je me di que je vais créer mon blog pour me parler et me regarder dans la glace. Mais je vois bien qu'il faut compter sur les autres. C'est ce que j'adore, tant d'années à essayer de plaire.

Un enfant se lève en tremblant. On lui lance son nom à la figure; avec une note. L'enfant se demande est-ce moi pourquoi rester ici que faire. Je me trompe il n'est pas même apte à penser tout cela il subit.

Commentaire n°4 posté par Depluloin le 11/08/2009 à 00h15
Le fait est que votre pseudo est délicieux, cher Depluloin ; je me le dis à chaque fois ! (ma bête signature étant elle-même assez clairement, même si je n'y ai pas pensé, une manière d'éluder le nom). De l'eau ? des exercices physiques ? Mais oui, pour moi l'un va rarement sans l'autre - sauf quand, comme aujourd'hui, je dois passer mon temps à arracher du papier. Mais bloguez, bloguez ; je sens la démangeaison.
Réponse de PhA le 11/08/2009 à 09h35

dimanche 9 août 2009

un dormeur de service

La présence d’un dormeur dans une salle de cinéma donne au film une force et une fraîcheur nouvelles. Comme si l’endormi assumait à lui seul la masse d’inat­tention dont les spectateurs sont capables, et les en libérait. Comme s’il restituait à l’intérêt qu’on porte à l’image toute sa gratuité et sa souveraineté. Son ronfle­ment apparaît comme un certificat d’intensité de bien des scènes qui autrement pâtiraient de l’effort collectif et trop égal des spectateurs. Il a la même vertu que la prière des ermites, qui s’abstiennent de participer au cours du monde pour mieux en conjurer le mal.
La catharsis des dormeurs s’applique à n’importe quel spectacle, pourvu qu’ils y trouvent où s’asseoir, les vertèbres bien soutenues. Cela ne pose aucun problème face au téléviseur, mais manque cruellement aux concerts techno.
Dans la vie quotidienne, un dormeur de service favorise une communication claire et une réception sereine. Il devrait accompagner les instants de haute vigilance, les coups de fil qui décident d’une carrière, les négo­ciations de la dernière chance.
Dans ce procédé, l’insomniaque va trop loin. Car une ville entière plongée dans le sommeil donne au solitaire éveillé un sentiment d’ivresse et de toute­-puissance qui nuit à la clarté de ses perceptions. Un seul dormeur suffit.
 
Philippe Garnier, Une petite cure de flou, PUF, 2002, p. 36-37.
 
Depuis cette salutaire petite cure de flou, Philippe Garnier a fait paraître le non moins indispensable Mon père s’est perdu au fond du couloir, et plus récemment un authentique roman, « de plage » toutefois.


 

Commentaires

Cet extrait est tout bonnement un régal. Je le note.
Vous m'emmerdez, Annocque. Vous me ruinez avec vos extraits de lecture.
Commentaire n°1 posté par Loïs de Murphy le 09/08/2009 à 18h50
Enchanté de vous emm..., chère Loïs !
Commentaire n°2 posté par PhA le 09/08/2009 à 19h47