« Ramassez les pièces ! » nous ordonne le Monsieur
Loyal – mais il n’en dit pas plus.
samedi 28 février 2009
vendredi 27 février 2009
une vocation touristique
C’est
sans doute influencé par ces jeunes qu’il se mit à fréquenter ces
endroits où une agitation prenait l’aspect d'une résistance.
Il hanta les grèves, où on défilait devant des C.R.S. De temps en
temps, ces gens d’ordre envoyaient une grenade ou distribuaient
deux-trois coups de boutou. M. Balthazar Bodule-Jules se retrouva
aux premières lignes des ouélélés qui se menaient contre la moindre
exaction policière ou de force officielle. Tout devenait le signe tant
attendu de la brutalité coloniale. Grévistes que les
gendarmes postés dans les campagnes n’arrêtaient pas de fusiller.
Fermetures d’usine qui laissaient aux abois des femmes et des enfants.
Conflits autour de la canne, de la banane, de l’ananas ou
du rhum qui n’en finissaient pas d’agoniser… À chaque fois, M.
Balthazar Bodule-Jules était là, debout, vociférant contre le
colonialisme. Le temps passa. Le pays devint un peu plus calme. Les
dernières usines avaient fermé. La plupart des champs se mirent à
vivoter sous des torrents de subventions. Tout un chacun percevait
six-sept allocations. Quant aux défenseurs du peuple, ils
s’étaient trouvé (à mesure de leur cote) des postes électifs où ils
représentaient on ne sait quoi et percevaient d’engourdissantes
indemnités.
Mis à
part sa guérilla syndicaliste, M. Balthazar Bodule-Jules lutta contre
une nouvelle lubie : le tourisme à tout-va. Des
promoteurs surgissaient de partout. Ils décrétaient que ce pays
disposait d’une vocation touristique. Ils voulaient transformer chaque
commune en hôtel. Installer des agences de voyages à
l’entrée des églises. Poser des gîtes sous les grands arbres.
Dresser des papillons pour qu’ils dansent à l’entour des guinguettes.
Transformer les pêcheurs en guides pour charters. Les
agriculteurs devaient suivre des cours d’art dramatique pour animer
des saynètes bucoliques autour de la canne et de l’ananas. Les
touristiqueurs se proposaient de peindre les merles en bleu, de
parfumer les manicous, et de récompenser les jeunes capables de
sourire aux couvées de touristes. Ils embauchaient des milliers de
jeunes filles, déguisées en doudous, et qui devaient danser dans
les aéroports et les débarcadères. Ils dispensaient des formations
d’électricien-tourisme, maçon-tourisme, entrepreneur-tourisme,
ingénieur-tourisme, journaliste-tourisme,
informaticien-tourisme… Une université spéciale fut montée (en kit)
pour délivrer par an sept millions de diplômes touristiques. Les
terres agricoles du pays, plus ou moins dévitalisées,
subirent un assaut sans précédent. Plus besoin de cultiver ou de
produire quoi que ce soit. Seuls devaient pousser hôtels, piscines et
marinas, touring-clubs et auberges de jeunesse
villages-vacances et casinos, bateaux-à-frites et musées de rivage…
Patrick
Chamoiseau, Bibliques des derniers gestes, p. 700-701, Gallimard, 2002.
Parce qu’une belle lecture m’a ramené pour quelques pages à mes propres
origines (l’île bien surnommée des revenants), peu après avoir pris connaissance chez Dominique Hasselmann du manifeste de neuf intellectuels antillais pour “des sociétés
post-capitalistes”.
Commentaires
texte fort actuel :)
Commentaire n°1
posté par
Gondolfo
le 27/02/2009 à 09h54
Oui, tout ça n'est pas né d'hier.
Commentaire n°2
posté par
PhA
le 27/02/2009 à 10h15
jeudi 26 février 2009
Seul à voir (une gazinière à l'étranger)
Acheter
une gazinière à l’étranger, non, tout bien réfléchi je ne pense pas que
ce soit vraiment une bonne idée.
J’essaie d’ailleurs de le lui faire discrètement comprendre, à M :
le transport, la garantie seront certainement un problème. Par ailleurs
le vendeur, peu officiel, un petit français rondouillard et dégarni exilé en Angleterre, et son local,
visiblement improvisé, ne m’inspirent aucune confiance.
Cependant
le prix, il faut bien le reconnaître, est vraiment attractif, surtout
pour une gazinière de cette qualité, un
modèle véritablement haut de gamme ; il est certain que nous aurons
du mal à retrouver l’équivalent. D’ailleurs celle-ci, parfaitement
neuve, a appartenu à Jacques Chirac en personne ; c’est une garantie qui devrait nous suffire.
Commentaires
je savoure d'autant plus que me sens parfois un rien paumée ce qui est tout de même mon état normal
"Paumée" pour moi est bon signe, ici comme dans la vie !
Pour parodier une question célèbre : would you buy a used cooker from this man ?!
Commentaire n°3
posté par
pascale
le 26/02/2009 à 14h53
Tu doutes encore... c'est tout toi !
Commentaire n°5
posté par
pascale
le 26/02/2009 à 22h12
mercredi 25 février 2009
Vie des hauts plateaux (arbitrairement 26)
Sa face
de brute ne trompe pas, ni sa batte de base-ball : c’est avec une
brutalité inouïe – quoique quelque peu mécanique –
qu’il entreprend de la battre. Elle, de son côté, ne s’en fait pas.
Juste un gémissement, un déhanchement, toujours le même ; c’est clair :
il ne lui arrivera rien. Regardez-le qui
s’obstine, inconscient de l’inefficacité de ses coups toujours
identiques. Regardez sa tête de brute, comme elle coulisse
curieusement, à chaque coup de batte, de gauche à droite, sur ses épaules.
Commentaires
regardez la danse hachée de son corps à elle qui encaisse tout de même
Cette brutalité "inouïe", mais quelque peu "mécanique", suspend le jugement, le met en balance sur les hauts plateaux.
En tout cas, je vous lis de la sorte.
En tout cas, je vous lis de la sorte.
Commentaire n°2
posté par
Christophe Borhen
le 25/02/2009 à 10h47
Elle ne l'avait pourtant pas volé, la chienne.
Commentaire n°3
posté par
François Matton
le 25/02/2009 à 11h33
Et en plus elle continue à porter le ruban qu'elle arbore fièrement quand la brute se déchaine.
Oui, vraiment, elle a du caractère.
Oui, vraiment, elle a du caractère.
Commentaire n°4
posté par
edcoz
le 25/02/2009 à 12h42
Tout un spectacle...
Hauts Plateaux : une clé cachée, l'oiseau seul a accés.
C'est simple : il est l'oiseau
Hauts Plateaux : une clé cachée, l'oiseau seul a accés.
C'est simple : il est l'oiseau
Commentaire n°5
posté par
Fayçal
le 25/02/2009 à 14h03
J'aime tous vos commentaires.
Fayçal, vous avez lu le billet Vdhp arbitrairement 4 ? ou êtes-vous voyant ? Les deux peut-être...
Fayçal, vous avez lu le billet Vdhp arbitrairement 4 ? ou êtes-vous voyant ? Les deux peut-être...
Non, je n'ai rien lu... Je ne suis pas non plus voyant, mais plutôt non-voyant... voilà le secret
Merci pour ces apostrophes et exlamation (les oiseaux d'irene). C'est là que je me suis dit : tiens, un enfant.
Sourire d'âme partagé, Philippe
Merci pour ces apostrophes et exlamation (les oiseaux d'irene). C'est là que je me suis dit : tiens, un enfant.
Sourire d'âme partagé, Philippe
Commentaire n°7
posté par
Fayçal
le 25/02/2009 à 19h44
Wow ! C'est bath !
Commentaire n°9
posté par
Loïs de Murphy
le 25/02/2009 à 23h49
"Il ne faut pas le laisser faire
sinon il arriverait très vite à cette attitude
à laquelle il ne peut plus rien être opposé.
Aussi, certains moyens « ultimes » pourront-ils être utilisés
pour qu'il reste bien dans l'attitude
qu'on lui a choisie jusqu'à ce qu'il s'arrête
parce qu'on le lui permet."
C'est donc là un de ces moyens "ultimes" - d'où l'ignorance de la brute de vivre une histoire d'amour - peut-être.
mardi 24 février 2009
les noms décidément
Port-Louis 1873
J’ai connu un Félix Desvages. Ce n’est pas celui qui dans les tranchées de 1915 avait trente-deux ans, avait vu le jour
en 1873 à Port-Louis, était crépu, sans doute fils de mulâtresse ou fils de fille de mulâtresse, de cabresse, comme on disait. Le Félix Desvages que
je connus est fils de ce Félix-là, fils lui-même du premier des Félix du même nom.
« Cabresse » ? j’avais toujours entendu câpresse.
Je ne m’attendais pas à ce qu’un livre de Marie Cosnay me renvoie aux Antilles.
(Marie Cosnay, où donc ai-je bien pu fourrer Les Temps
filiaux ? On ne devrait jamais ranger sa bibliothèque, on ne
s’y reconnaît plus. (Heureusement j’ai eu le temps de le lire avant
qu’il ne disparaisse, aussi mystérieusement que ce qu’il
dit.))
Félix
deuxième, né à Port-Louis de Félix Desvages et d’Augusta Dalix mourut
le 9 février 1919 d’une « maladie contractée aux
armées », à l’hôpital Bégin de Saint-Mandé. Je connus son fils,
Félix, et sa fille, Andrée, que pour des raisons inconnues on appelait
Hélène.
De 1840
à 1880 à Port-Louis, les actes de décès sont en plus grand nombre que
les actes de naissance. Sur les microfilms des Archives
nationales, l’acte du 17 janvier 1873 confirmant la naissance de
Félix deuxième propose pour la mère Augusta un autre prénom que celui
que la légende familiale lui a attribué : Rose
Dalix.
Les prénoms aux
Antilles. Mes grands-parents maternels – ma mère elle-même – ont vécu
sous d’autres prénoms que ceux inscrits sur leurs papiers
d’état-civil. (Et Civil même est un nom de ma famille : nom de l’Etat qui donne son nom.)
Cette recomposition par fragments d’un passé familial complexe n’est pas sans faire écho à ma lecture récente de Ma solitude s’appelle Brando, d’Arno
Bertina.
L’éruption
de la Soufrière, le mercredi 8 février 1843, provoque un incendie qui
détruit maisons et plantations. Des
milliers de personnes sont piégées, brûlées. Le premier adjoint du
maire, Anatole Léger, tente de maîtriser l’affolement. Au Bois-debout,
on cultive la canne à sucre.
Le 29 avril 1897, un tremblement de terre provoque une grave crise économique. Quelques familles de colons se retirent,
dont celle d’Alexis Léger Léger, qui s’installe à Pau.
Plus
de vingt ans auparavant, dans les années 1870, Félix Desvages nommé
gardien de la paix à Port-Louis, rencontre Rose
Dalix qu’il appelle Augusta. Rose est née esclave. En 1873, le 17
janvier, elle met au monde l’enfant qu’on dit Félix comme le père.
Trouvé dans les affaires des enfants de Félix mort de grippe à
Saint-Mandé après quatre ans de front : l’acte de vente, illégal
car il s’agit d’une enfant impubère, dûment signé pourtant, daté du 23
juillet 1844, concernant Rose ou Augusta, de mère
marronne ou disparue. Le reste s’est perdu. L’acte conservé rappelle
l’amour que le gardien de la paix à Port-Louis connut, et la mère que
Félix (quatre ans dans la boue, uniforme empesé, perdu
en embuscade, retrouvé par son escouade serré évanoui un jour
d’hiver 1916 à un compagnon dont le front fendu sépare verticalement en
deux parties égales le visage, un œil dans chacune, sauvé,
mort de grippe à Saint-Mandé en 1919), sembla ne jamais connaître.
Félix
premier est gardien de la paix. L’insurrection commencée le 22
septembre 1870 en Martinique atteint la Guadeloupe. D’anciens
esclaves, ouvriers, brûlent une cinquantaine d’habitations.
Peut-être l’insurrection conduit-elle le gardien de la paix à
Saint-Louis. Il rencontre Rose, a d’elle un fils, reconnu plus tard en
métropole.
Je n’écris pas un billet sur l’actualité aux Antilles.
Je n’écris pas non plus un billet sur le livre de Marie Cosnay André des Ombres,
qui pourtant le
mérite bien. Ni sur les Antilles donc : trop incertain mon regard
d’Antillais délavé, antillais d’origine seulement, et grandi en
métropole.
J’écris sur les noms encore. Ecrire sur les noms c’est poser la question de l’identité ? se demande l’Antillais délavé.
André des Ombres, de Marie Cosnay, est
paru en 2008 aux éditions Laurence Teper. Les passages ci-dessus, interrompus par mes divagations, sont aux pages 34 à 37. On en trouvera une
lecture attentive par Jean-Marie Barnaud sur Remue.net.
Les Temps filiaux est un autre livre de
Marie Cosnay, dans une toute autre tonalité, paru également en 2008 dans la collection In situ de l’Atelier In 8. A l’occasion de la parution de
ces deux livres, une interview de l’auteur dans le
Matricule des Anges, un article de Jean-Claude Lebrun dans l’Humanité, un article de Pascale Arguedas sur son site
Calou.
(Nouvelle recherche. Toujours introuvable, Les Temps filiaux. Mais tiens, j’ai retrouvé Petit traité de désinvolture, de Grozdanovitch, également égaré. Je poursuis les recherches.)
Commentaires
Ah voilà, je me demandais où j'en avais entendu parler... Dans Le Matricule des anges :o)
Commentaire n°1
posté par
Loïs de Murphy
le 25/02/2009 à 09h33
lundi 23 février 2009
Seul à voir (les pieds de l'homme)
Pénétrant dans une petite pièce, une pièce très étroite surtout, toute en longueur, je découvre soudain mes collègues,
une bonne partie de mes collègues réunis là, autour de tables mises
bout à bout qui ne suffisent pas – la place manque –, en pleine
activité,
l’air soucieux.
Ils dessinent. (Moi aussi, je dessine.)
C’est
en de telles occasions inhabituelles que l’on découvre chez de
quotidiennes relations des talents jusque là
insoupçonnés. Elle, par exemple dessine vraiment très bien. Je ne
m’en serais jamais douté, peut-être à cause de son air perpétuellement
maussade et de son absence de coquetterie. Pourtant, faute
de place, elle est obligée de prendre appui sur un carton qu’elle
tient de l’autre bras, debout, le front presque contre le mur. Et quand
je jette un coup d’œil par-dessus son épaule, je suis
vraiment impressionné. Ce qu’elle fait me paraît vraiment plein,
je ne trouve pas d’autres mots pour mieux dire. Mon propre dessin, qui
pourtant
n’est pas si mal, me paraît bien piètre, en comparaison. C’est
important, savez-vous, de pouvoir comparer. S’il n’y avait pas son
dessin, j’aurais vraiment du mal à imaginer que l’on puisse faire
quelque chose de mieux que ce que j’ai produit. C’est probablement
que moi, je ne peux pas faire mieux.
J’ai dessiné deux corps enlacés. Aussi enlacés que possible, comme sculptés au départ dans le même cylindre de bois. Le
résultat est quand même plutôt convaincant, malgré elle. J’aime voir apparaître les mains et les pieds de mes personnages,
surtout là où on ne les
attendrait pas, dans l’enchevêtrement des membres, sans pour autant
faire d’entorse à l’anatomie. Mais je n’ai pas réussi à faire apparaître
les pieds de l’homme.
samedi 21 février 2009
Vie des hauts plateaux (arbitrairement 25)
D’autres fois je panique, enlisé jusqu’au coup dans une verdure
étrange. Puis je reparais d’un coup : je m’étais juste égaré dans la masse immatérielle d’un tyrannosaure fraîchement abattu.
vendredi 20 février 2009
des noms impropres
Cette histoire de nom
qui me travaille me renvoie à une autre lecture, il y a un an, ou un
peu plus. (Et merci à Cécile, précieuse conseillère, qui m’a
aiguillé vers ce livre.)
Mon père appelait ma mère Caroline.
Avait-elle choisi, dès leur première
rencontre dans un café de Montparnasse, de se présenter à lui sous
ce nom d’emprunt ? Et pourquoi mon père persista-t-il à appeler ma mère Caroline
après avoir appris que ce prénom n’était pas le sien ?
Elle
avait dérobé à sa propre mère son prénom. Des années après la mort de
leur fils, mes grands-parents paternels
continuèrent à nommer leur belle-fille du nom d’une vieille dame
corse qu’ils n’avaient jamais connue. Ses sœurs et ses cousins
appelaient ma mère Marie-Rose ou, plus rarement, Rose. Après la mort de mon père elle devint progressivement Marie, prénom par
lequel la plupart de ses proches, aujourd’hui, la désignent. Elle ressemble beaucoup plus à la morte qu’à la vivante.
Avant la naissance de mon fils ma mère s’inquiéta du nom qu’il devrait lui donner. L’appellerait-il en corse mina, en italien nonna, en français grand-mère ? Pressentant le
désarroi dans lequel toute nomination plongeait sa grand-mère, mon fils élabora à l’âge d’un an le vocable mamè, peut-être parce qu’il m’entendait l’appeler mamère, ou qu’il avait construit une variante à partir de
maman.
Moi-même, depuis une époque précise que j’ai oubliée, ai cessé de l’appeler maman. Lorsque j’ai besoin de sa présence au
loin j’émets des sons inarticulés jusqu’à ce qu’elle comprenne à qui mes oh oh ! s’adressent. Sur les cartes postales que je lui envoyai enfant, la
première phrase n’est jamais précédée par rien. Au téléphone, elle commence au milieu d’une phrase, ou prononce exceptionnellement :
« C’est moi. » Quand je cherche à lui faire avouer : « Qui ça, moi ? », elle ne répond rien. Souvent elle emploie des
pronoms dont elle omet l’antécédent. « Je voulais le voir au Gaumont Alésia. – Voir quoi ? –
C’est ma vie. » Il manque presque toujours dans ses phrases quelque chose avant.
Eh bien vous peut-être ; si c’est ce que vous appelez parler, ne jamais
dire un mot. Mais pas moi.
Hélène Frappat, L’Agent de liaison, p. 31-32, Allia, 2007.
Commentaires
Wow... J'ai explosé mon budget bouquins pour le trimestre, mais plus tard je le lirai je pense...
Commentaire n°1
posté par
Loïs de Murphy
le 20/02/2009 à 11h11
N'est-ce pas ? Si l'adjectif n'était pas aussi bêtement galvaudé, je dirais bien que c'est un texte dérangeant - avec art.
Un texte indenti-taire
Commentaire n°3
posté par
pascale
le 20/02/2009 à 12h21
Identité, silence ; oui. Un jour il faudra tout de même que j'évoque l'Innommable.
à PhA : j'ai beaucoup aimé ce livre (à tel point que je croyais te l'avoir conseillé).
Commentaire n°5
posté par
coeur en diamant
le 21/02/2009 à 10h09
Comment ? Ce n'est pas moi qui, au contraire, te l'avais conseillé ?
(Mais savons-nous encore qui nous sommes ?)
(Mais savons-nous encore qui nous sommes ?)
merci Philippe
Commentaire n°7
posté par
Cécile
le 28/02/2009 à 11h06
jeudi 19 février 2009
Seul à voir (la tête soudain tournée vers moi)
Est-ce
un lapin, cette forme claire à la fourrure soyeuse étendue sur le gazon
du jardin, près du mur de la maison ? Dites-le
moi : est-ce un lapin (longues oreilles, race domestique) ou bien un
chat ? Est-il mort ? N’est-il pas en train de s’éveiller, la tête
soudain tournée vers moi ?
Commentaires
Un bon moyen pour être fixé : marcher sur la queue.
Le lapin bondit, le chat feule, le nain de jardin ne réagit pas.
Le lapin bondit, le chat feule, le nain de jardin ne réagit pas.
Commentaire n°1
posté par
François Matton
le 19/02/2009 à 14h38
(en même temps, des nains de jardin qui laissent traîner leur queue, c'est peu commun)
Bravo, j'ai eu très peur (j'adore ça).
Bravo, j'ai eu très peur (j'adore ça).
(c'est sûr qu'habituellement ils la rangent dans leur brouette sous un peu de terre — ce qui ne trompe pas les amateurs)
Commentaire n°3
posté par
François Matton
le 19/02/2009 à 19h38
(c'est sûr qu'habituellement ils la rangent dans leur brouette sous un peu de terre — ce qui ne trompe pas les amateurs)
Commentaire n°4
posté par
François Matton
le 19/02/2009 à 19h39
Oui, mais s'il est mort ? - car là encore je doute...
(Les nains de jardin ne laissent pas traîner leur queue, Didier - sauf le schtroumpf paresseux.)
François, décidément, tu aimes les messages secrets et les caresses de souris...
(Les nains de jardin ne laissent pas traîner leur queue, Didier - sauf le schtroumpf paresseux.)
François, décidément, tu aimes les messages secrets et les caresses de souris...
mercredi 18 février 2009
Vie des hauts plateaux (arbitrairement 24)
Souvent, il en tombe, raides morts ! Si raides qu’un orteil
effleurant la corniche suffit à maintenir tout le corps horizontal en suspens au-dessus du vide.
mardi 17 février 2009
délivré des noms
J’oublie
son nom, et son prénom plus encore. Parfois il me faut plusieurs
minutes pour les retrouver. Ils ne cadrent plus avec ce que
je dis de lui. Sa figure se dessine. Délivrée des nom et prénom, sa
figure se dessine. Je le peins en nomade, émergeant péniblement du
brouillard, clopin-clopant, dans des frusques aux couleurs
sourdes, bleu mauve, brun presque noir, rouge étouffé, couleurs de
ses Palissade qui ont
l’air amples et somptueuses quand elles ne sont que des
collages, recoller les morceaux afin qu’on se fasse prendre, qu’on
n’y voie que du feu, qu’on ne sache plus l’éparpillement dont elles
procèdent. Je le peins en nomade. Pour ne pas quitter ses
brumes, il s’est fait nomade, il a accompli le minuscule voyage qui
tient dans un département ou presque, l’immense voyage, le seul qui
vaille : soulever l’ailleurs alors qu’on est
dedans.
Maryline Desbiolles, les draps du peintre, p. 95
Editions du Seuil, Fiction & Cie, 2008.
Comment en effet évoquer quelqu’un par son nom ?
comment se résoudre à une
telle réduction de la personne ? (Surtout, bien sûr, quand le nom
est si évocateur – mais même.) L’amour, notamment, sait bien cela.
A propos de cette belle peinture de peintre, un article sur Sitaudis, une interview dans le Matricule, une
autre dans le Magazine des Livres…
lundi 16 février 2009
Seul à voir (pas question de choisir)
Ce n’est pas facile d’honorer en même temps deux invitations différentes : comment ai-je pu me mettre dans une
telle situation ? Je n’en ai aucune idée, je ne parviens pas à m’en souvenir, je ne saurais dire laquelle fut la première.
Maintenant me voici bien obligé de ne décevoir personne. On compte sur moi des deux côtés : il y a en effet bien
longtemps que je ne les ai vues, toutes ces personnes.
J’ai
encore de la chance, dans mon malheur ; je dois bien le reconnaître :
par un heureux hasard, les deux
réceptions ont lieu non loin l’une de l’autre, de chaque côté du
pont, en contrebas, en plein air, juste au bord du fleuve. Je suis
encore sur le pont, sur le point d’arriver. Il suffit que je
tourne à droite pour me retrouver dans la famille de ma mère. Si je
tourne à gauche, je serai l’hôte tant attendu de mon vieil ami
d’enfance, mon vieil homonyme, qui a tellement
insisté.
Il ne peut pas être question pour moi de choisir : je
dois me résigner à faire la navette entre les deux, à courir de
l’une à l’autre, malgré les voitures, sans vraiment pouvoir parler à
personne, sans donner d’explications. Tous ces gens,
dites-vous, seront un peu désappointés par mon comportement étrange,
par mon singulier manque de disponibilité. C’est mieux cependant que de
leur faire entièrement défaut.
Me voici donc contraint de réduire ma condition à ces
incessants allers-retours, qui semblent-ils débordent parfois un peu jusque de l’autre côté du pont, de l’autre côté du fleuve, dans la ville où j’ai grandi et que toujours je ne reconnais plus, malgré mes multiples traversées à pieds, à bicyclette, en car, toutes ces
traversées certes un peu pénibles mais que j’accomplis malgré tout, avec même peut-être un soupçon de complaisance.
samedi 14 février 2009
Vie des hauts plateaux (arbitrairement 23)
Vie des hauts plateaux (arbitrairement 23)
Dès le moteur en marche, même à l’arrêt, je suis en sécurité sur mon scooter des neiges : le géant barbu qui prétend m’assaillir
à coups de matraque mourra foudroyé sans même que j’ai jeté un regard vers lui. Dommage que je n’en sache rien – car lui n’en sait
pas davantage.
Commentaires
Philippe Annocque, l'homme qui donne antimatière à rêver (ou : aux
innocents les mains vides (les pauvres, on les a refaits)).
Ah, ça me plaît, ça ! Je le mettrai sur mes cartes de visite.
est-ce une matraque sans manche auquel il manque la dragonne ?
c'est vrai qu'à l'heure où j'écris, le manche est dans la main
et la dragonne au poignet d'un de mes petits collaborateurs justement à
mes côtés
mais mon scooter se conduit du bout des doigts
mais mon scooter se conduit du bout des doigts
voilà qui me confirme dans mon goût pour la plaine
jeudi 12 février 2009
807 Chevillard
Ne m’embrassez pas ! J’ai contracté (il y a déjà longtemps) un virus, extrêmement contagieux : je fais en effet partie de
ces personnes, en nombre toujours croissant, qui se prennent pour Eric Chevillard, et qu’on laisse imprudemment parcourir les rues et la Toile –
tiens, si vous sous-estimez l’épidémie, allez donc voir par ici.
Est apparue depuis peu – en fait, depuis la publication papier de la
première saison de notre feuilleton préféré – une forme spécifique de ce mal nouveau, plus clairement monomaniaque, toute concentrée sur le
premier épisode, devenu légendaire :
« J’ai compté 807 brins d’herbe, puis je me suis arrêté. La pelouse était vaste encore. »
Le premier à en être atteint fut Franck Garot, qui gentiment offre désormais l’asile et le couvert aux malheureux contaminés, ouverture tous les matins à 8h07 ; qu’il en soit remercié.
Il convient cependant d’évoquer l’origine du mal, pour ceux qui ne
s’en méfieraient pas. On sait en réalité peu de chose de son identité véritable. Le fait est que la pathologie a atteint chez lui un
point tel qu’il va, et ce très régulièrement depuis une bonne vingtaine d’années, jusqu’à faire publier des livres signés Eric Chevillard,
avec la complicité d’éditeurs sans scrupules comme Minuit, Fata
Morgana, Argol et plus récemment L’Arbre Vengeur. Je ne saurais trop en
déconseiller la lecture. Voyez le résultat ; ma vie aussi désormais
peut se résumer en trois lignes :
J’ai perdu 807 cheveux, puis je me suis arrêté. Mon coiffeur me regarde d’un sale œil.
J’ai été condamné à seulement 807 années de prison. L’espérance de vie des gardiens est en baisse.
J’ai atteint les 807 lecteurs, puis je me suis arrêté. Je ne saurais supporter davantage d’indiscrétion.
J’ai atteint les 807 lecteurs, puis je me suis arrêté. Je ne saurais supporter davantage d’indiscrétion.
Depuis Sans l’orang-outan
surtout, chaque voyage à Paris passe par le Jardin des Plantes,
vérification oblige (ouf ! il en reste encore cinq). J’y ai
laissé mes derniers sous. Maintenant, je reste à l’extérieur de la
ménagerie, je me contente de longer les grilles. De là, les singes sont
invisibles, bien sûr ; mais avec un peu de chance
on peut apercevoir la masse amorphe et hirsute du binturong, non
loin de celle, agile et rousse, du petit panda. En passant de l’un à
l’autre à un rythme accéléré, mon œil droit parvient encore à recomposer un orang-outan passable (le gauche est plus difficile à convaincre).
Mais le
plus dur, c’est en automne, parce que les feuilles aussi sont rousses,
et qu’elles tombent, prémonitoires. J’ai survécu au
dernier. Souhaitez-moi bonne chance, et évitez les librairies.
Commentaires
Oui, bon, d'accord, cela étant je préfère vos textes. C'est comme ça.
Commentaire n°1
posté par
Christophe Borhen
le 13/02/2009 à 17h15
C'est que vous me préférez en bonne santé ! (rassurez-vous, je me soigne)
mercredi 11 février 2009
fou rouge
Ici,
avenue L.L., nous usons fréquemment de betterave rouge. De ce rouge
cramoisi nous faisons de minces tranches qui
rosissent nos doigts et nos lèvres. Ceux de M. sont à ce point
rouges du jus de la betterave qu’ils rougissent tout ce qu’elle touche
ou baise. Mangez de la betterave rouge, mes amis, et
cultivez-la sans relâche ! Je promets d’en planter cette année dont
février est tumultueux et froid. Je la planterai partout où cela sera
permis. Et de la cuisson de cette betterave, les
villes se mélangeront comme se mélange la crème aigre blanche au
jus de cette racine de vieille culture.
Et pendant que cuisent les légumes dans leur peau veloutée, on peut vaquer à ses occupations favorites. L’Égyptienne
tricote sa vie alvéole par alvéole et le merle bègue tutoie le firmament.
Eugène Savitzkaya, Fou civil, p. 76
Le
chou rouge est en train de réduire avec le lard et les échalotes dans
une lourde marmite de vermillon et son fumet se
répand dans l’appartement. On y met un filet de vinaigre, des
pommes, du sel, du laurier et du thym, la noix du muscadier et le
poivre une fois qu’il a diminué de moitié. Il ne faut pas se
comporter avec le chou rouge comme avec le chou blanc, les deux
cabus (cabuses caboches) n’ont pas du tout le même tempérament. L’un est
rassis et poli autant que l’autre est fou du bleu de
méthylène qui le gorge. Le chou rouge est le type même de la caboche
alcoolique. La question que maintenant je me pose est : aura-t-on
déposé un jarret de porc sur cette humble
litière ?
Eugène Savitzkaya, Fou civil, p. 84
Commentaires
moi aussi j'aime le fou rouge
Commentaire n°1
posté par
lady chatterley
le 12/02/2009 à 10h03
ces inspirations culinaires m'inspirent. Merci!
Commentaire n°3
posté par
cécile portier
le 13/02/2009 à 12h14
mardi 10 février 2009
ma tête sur les planches
Et
voilà que, travaillant à genoux sur le plancher, les coudes sur le bois
toujours poussiéreux, je vois entre deux planches de vieux
chêne, pris dans la crasse qui occupe la fente, briller quelque
chose d’arrondi, un objet en cuivre rouge. J’ai un couteau sous la main,
je m’en occuperai tout à l’heure. Maintenant est l’heure
de vous dire que je travaille à genoux et les coudes sur le bois
pour de très bonnes raisons que je suis d’ailleurs le seul à connaître.
Au bout d’un certain temps, mes orteils s’ankylosant, je
culbute vers l’avant, pose ma tête sur les planches, gyre, m’élève
et accomplis un salut au soleil d’ailleurs absent, en cette nuit rue A. à
Liège, cette bonne ville. Serais-je tombé sur un
trésor ? Mais je suis ainsi fait que ma distraction dépasse
largement le fourmillement de ma pensée et que le fourmillement de ma
pensée contribue largement à ma distraction. Je parlais donc
d’un objet scintillant entre les lames en chêne du plancher, mais je
dois me lever pour faire le thé et cela m’emporte ailleurs, thé vert à
la menthe oblige. Suis-je l’obligé du thé vert à la
menthe ? Depuis quand suis-je l’obligé du thé vert à la menthe ?
Depuis 1977 au détroit de Gibraltar, Tanger. La théière en forme de
bulbe en acier inoxydable reflète le décor et le
personnage qui s’y meut en babouches. Théière et babouches viennent
de Marseille, et le morceau de cuivre, de la tuyauterie neuve.
Eugène
Savitzkaya, Fou civil, p. 63-64, Les Flohic éditeurs, 1999.
Commentaires
Si vous pouviez éviter d'alourdir ma pile de livres à lire, merci :o)
Commentaire n°1
posté par
Loïs de Murphy
le 10/02/2009 à 08h54
Tranquillisez-vous : Savitzkaya ne saurait alourdir quoi que ce soit, fût-ce une pile !
C'est aussi tout le problème (à moins que ce ne soit l'avantage ?) de la lecture : plus on lit, plus il nous reste à lire...
C'est aussi tout le problème (à moins que ce ne soit l'avantage ?) de la lecture : plus on lit, plus il nous reste à lire...
"Mais
je suis ainsi fait que ma distraction dépasse largement le
fourmillement de ma pensée et que le fourmillement de ma pensée
contribue largement à ma distraction."
Formidable.
Formidable.
lundi 9 février 2009
Seul à voir (le nom de ma destination)
Suis-je un autre ? peut-être pas, me direz-vous ; ou sinon, en un autre temps ; en tout cas, en un autre
lieu.
C’est en Angleterre – encore. La ville, mon ami F m’en a dit le nom, je l’ai oublié, il a dû me le redire quand je le lui ai redemandé (« C’est comment, au fait,
ici ?… »), il a dû me le redire mais je l’ai encore oublié. Un nom composé, pas très long quand même ; un nom anglais. Pas vraiment
difficile à retenir.
Dans
cette ville il y une rue qui tourne un peu, une rue de ville bordée de
hautes maisons ou de petits immeubles. Il
n’y fait pas très clair, c’est pour ça qu’elle est déserte. Sur un
trottoir il y a l’hôtel, sur l’autre – pas tout à fait en face, un peu
sur la gauche en traversant – il y a la boutique du
marchand de sandwichs.
En théorie, je sais que nous ne sommes pas très loin d’Oxford, un peu au
nord. Ça n’a pas beaucoup de signification, peut-être même n’aurais-je pas dû vous le faire savoir.
« Nous », car, à l’origine tout au moins, je n’étais pas seul.
Il y avait des amis avec moi, des compagnons de voyage.
Ils ne sont plus là. Peut-être doivent-ils revenir. Nous devons nous retrouver quelque part, en tout cas ; c’est
prévu. Il n’y a plus que moi à l’hôtel.
Une
fois nous avons été deux, à vouloir rentrer dans l’hôtel. Ça posait un
problème, un problème de compréhension, parce
que le rez-de-chaussée n’était pas vraiment un rez-de-chaussée ;
c’était juste un vaste hall, qui sentait le désaffecté. En plein milieu
il y avait la cage d’ascenseur, et l’escalier aussi,
mais ce n’était pas simple de les utiliser.
La
chambre est un peu plus qu’une simple chambre. J’ai envie de l’appeler
une « location », car il y a une
cuisine séparée. L’ensemble évoque plutôt un petit appartement,
d’ailleurs assez encombré, assez mal tenu. Dans la cuisine (qui se
trouve à l’autre extrémité de l’appartement, par rapport à
l’entrée principale), il y a une autre porte, une issue secondaire,
fermée d’une serrure rudimentaire, qui n’inspire pas confiance : ce
serait facile à une personne mal intentionnée de passer par là, elle aurait alors un accès direct à tout l’intérieur.
Les robustes verrous de l’entrée principale sont du coup bien dérisoires.
Cependant
il faut bien passer le temps, en attendant ; il faut bien manger aussi.
Heureusement il y a le marchand
de sandwichs sur le trottoir d’en face. C’est dans sa boutique
finalement que je passe le plus clair de mon temps, en attendant. C’est
devenu presque un
ami. Ce n’est pas un Anglais d’origine, ça se voit à son teint
basané, à sa barbe noire naissante ; et puis il a un accent, aussi. Ça
ne facilite pas la compréhension, entre nous.
Heureusement qu’il y met vraiment du sien. C’est lui qui me rappelle
l’heure à laquelle je dois prendre le car, et l’emplacement de la
station (il suffit de remonter un peu la rue qui tourne), et
le nom de ma destination : une autre ville, à plusieurs centaines de
kilomètres de là, beaucoup plus au nord, où je retrouverai mes amis.
Commentaires
Des réminiscences de Une affaire de regard. Est-ce volontaire ?
Commentaire n°1
posté par
pascale
le 10/02/2009 à 11h17
J'essaie, autant que possible, de ne rien mettre de vraiment "volontaire" dans ces choses que je suis seul à voir ; mais tu as raison : il y a là la remontée fortuite d'une manière de jeunesse où Une affaire de regard trouve autrement ses sources (et l'Angleterre, et la figure de l'ami, et surtout la précarité).
samedi 7 février 2009
Vie des hauts plateaux (arbitrairement 22)
Si tu te promènes toute seule dans le noir, prends garde aux rats –
que tu ne sentiras pas venir te grignoter les chevilles – jusqu’à ce que mort s’ensuive.
vendredi 6 février 2009
belle promenade sur les affleurements
« Est-ce
bien moi qui ai fait ce que j’ai fait ? Peut-être s’achève ici la
vie d’un autre. Un autre sans chair, un autre aveugle et glacé, paquet
de connexions calculateurs, petit amas d’humeur
chagrine acharné à être. »
Pierre Jourde, Dans mon chien, PARC édition,
2002.
J’ai fini Dans mon chien.
« Dans
mon chien », c’est là (ou plutôt c’est de là, depuis là)
que se passe ce récit évidemment peu
banal que je ne raconterai pas, n’expliquerai pas ; puisque au fond
(d’) ici je ne parle que de moi. Moi on ne sait jamais bien ce que
c’est, dans mon chien non plus on ne le sait pas,
forcément, on le sait encore moins ; dès lors qu’il nous dévore.
Avant de lire Dans mon chien
j’avais (j’ai toujours) dans mon dos deux dos jumeaux que
je sentais un peu ironiques (dans mon dos sont les rayons de la
bibliothèque). Ironie de la gémellité car rares sont les livres d’un
même auteur, publiés par le même éditeur, qui au moins en
surface se ressemblent aussi peu que L’heure et l’ombre (L’Esprit des Péninsules 2006) et La Cantatrice avariée
(paru en 2008 chez le même éditeur). Quant à Pays perdu, lu encore avant, c’est encore vraiment autre
chose. Bien sûr on peut dire que ce sont des genres, ou des
sujets différents. On n’aura pas dit grand-chose (qu’on ne compte pas
non plus sur moi pour dire grand-chose).
Il y a, peut-être, des auteurs qui ne changent que quelques mots par livre – et ces variations sont très belles. Il y en a aussi
peut-être qui, jamais, ne sont le même.
Dans mon chien, tout de même, me renvoie à la Cantatrice avariée.
Même si ce roman, dernier en date, assume a priori davantage le
genre en (se) jouant (de) l’intrigue ; les affinités sont manifestes. Il
y a là quelque chose, sans doute, quelque chose de
défait, d’épars
qui tient à cœur à l’auteur, j’imagine. Un flottement des contours. Un
sentiment aigu
du disparate. D’où, peut-être, ce désir d’apparente disparité dans
l’œuvre entière. Je dis peut-être des bêtises : je me contente
d’imaginer ; je n’ai pas lu tout Pierre Jourde. Et
d’ailleurs, même si j’avais « tout » lu, je n’aurais pas tout lu. Et
qui plus est : il n’a pas tout écrit. Et il ne proposera à la lecture
que ce qu’il jugera possible. Mais il est
peut-être moins « tout » qu’un autre.
Des strates, des veines, la plupart du temps invisibles parcourent le sol du domaine. Belle promenade sur les
affleurements.
Commentaires
Et d’ailleurs, même si j’avais « tout » lu, je n’aurais pas tout lu. Et qui plus est : il n’a pas tout écrit.Belle vérité essentielle. C'est bien de laisser les portes ouvertes, les nôtres et celle de l'auteur.
Commentaire n°1
posté par
pascale
le 06/02/2009 à 14h27
Vous êtes un des rares lecteurs de ce livre, et votre lecture
témoigne, je crois, d'un sentiment littéraire très juste dans les
rapprochements que vous opérez. Je suis heureux d'être lu de cette
manière.
Pierre Jourde
Pierre Jourde
Commentaire n°3
posté par
pierre jourde
le 03/03/2009 à 17h14
jeudi 5 février 2009
Seul à voir (les livres sont encore loin)
Me voici de passage dans la ville où j’ai grandi.
Des
regards s’y échangent, faits de reconnaissances, plus souvent de
non-reconnaissances, de retrouvailles et de pertes
où finalement je me retrouve ; je me retrouve sous vos yeux à en
parcourir les rues, sur une étroite chaise à moteur. L’objet est tout
compte fait d’une utilisation assez pratique, et c’est
sa petitesse sans doute qui permet sa maniabilité, même si elle est
peut-être aussi la cause d’une confuse insécurité.
Je
dois manquer d’attention, sans aucun doute ; des pans entiers
m’échappent. C’est toujours comme ça, je le
sais ; il est nécessaire que vous aussi surtout vous le sachiez.
(Par ailleurs ma chaise est rapide et silencieuse, elle se faufile
partout ; prenez-y garde à ma poursuite.) C’est ainsi
que je me trouve tout surpris de me voir dans l’unique librairie de
la ville, déjà vraiment à l’intérieur, sans même pouvoir certifier
qu’elle est toujours où je l’ai connue
autrefois.
L’intérieur
a bien changé. Ces hauts murs et ces vieux rayonnages surprennent, dans
une banlieue dont l’essor est encore
récent, et parmi tous ces livres déjà jaunis par le temps je ne
reconnais rien. Pas un titre, pas un nom. Sans doute ne suis-je pas au
bon rayon.
Il
apparaît qu’il y a un étage, au-dessus, où peut-être je trouverai ce
que je cherche. Je monte l’escalier, un spacieux
escalier de bois qui tourne à angles droits. De vastes paliers
représentent une importante place perdue : on pourrait sans problème
installer là de larges rayonnages. Peut-être est-ce prévu,
d’ailleurs, il y a clairement dans tout cet aménagement quelque
chose de provisoire. C’est
pour cela qu’il faut monter, encore, monter au-dessus de
ce qui aurait dû être le premier étage, pour enfin revoir des
livres. Ici les rayonnages sont récents, et sans doute aussi les livres –
c’est difficile à dire : ils sont encore loin.
Il y a de la couleur, en tout cas, même sur le sol, et la lumière ici
est bien plus franche. Tout cela est bien tentant. Mais il y a du vide
aussi,
beaucoup de vide, et les passerelles oranges (ou vertes) sont
vraiment trop peu larges, sans aucun garde-fou, pour qu’on s’y aventure.
Certains clients l’ont fait cependant, qui vont paisiblement
d’un rayon à l’autre. Moi je préfère y renoncer, de tels risques me
paraissent peu raisonnables.
Mais voici un employé, tout de même, soudain présent, pour répondre à mes désirs. Sans doute en ai-je, car figurez-vous
que je m’entends lui demander s’ils ont des livres de Houellebecque, et de Dantecque. Je l’écoute à
peine me dire oui, je l’interromps presque : « … et d’…cque ? » connaissant d’avance la réponse négative. Il ne connaît pas.
D’ailleurs je ne me reconnais pas,
je me trouve bien audacieux de lui glisser qu’à ma connaissance, s’ils
voulaient bien organiser une séance de
dédicace, il est probable que ce dernier participerait volontiers.
Cependant le jeune homme mince au front dégarni n’est pas né de la
dernière pluie : le voilà qui suggère courtoisement avec
un léger sourire non dénué de cruauté que, peut-être, il s’adresse à
l’auteur lui-même. Je suis bien obligé de l’admettre (même si, en toute
bonne foi, je pourrais encore discuter la chose), et
le sourire que je lui renvoie ne m’est qu’une précaire protection.
Mais oui, pourtant, pourquoi pas ? Il semble intéressé.
Commentaires
Oui, mais c'était il y a un an et moi non plus je ne connaissais pas ...ocque. Tsss! (mais un libraire, tout de même, pfff!)
Commentaire n°1
posté par
Ambre
le 09/01/2010 à 14h12
Des étages, des escaliers, des vides, de la place perdue, des
passerelles, du lointain, des détours autour des noms, le chemin est
long jusqu'à ce que le jeune homme semble intéressé.
Commentaire n°2
posté par
Michèle
le 19/06/2013 à 19h11
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