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vendredi 5 novembre 2021

Sa petite sœur, disparue, le hante.

Ahmed, qu’on appelle ainsi depuis le début, dit qu’il s’appelle Amadou, en vrai. Ahmed, pour ses séjours en pays musulmans. Il dit aussi son nom de famille : c’est que nous cherchons sa sœur. Nom et prénom. Prénom, Makoko. Même père, même mère, dit Ahmed. Les premières démarches : auprès des sauveteurs qui sont dans les parages. Je suis sûre, ou plutôt son frère est sûr (son frère évangélique, alors que je ne pensais pas me tromper en lui souhaitant un bon Aïd), est sûr qu’elle est arrivée. Ahmed dit : partie de Dakhla, arrivée à Las Palmas le 21 décembre 2019. Prenez la photo, allez dans les centres, ouvrez les yeux, vous trouverez. Plus de cinq mois, dont deux d’isolement, en Espagne.

Les centres dans le sud de l’Espagne sont vides, les Canaries saturées. Première interlocutrice de la Croix-Rouge, à Las Palmas : on donne une carte SIM à toutes les personnes qui arrivent afin qu’elles préviennent les familles qu’elles sont saines et sauves.

Ahmed pense donc que sa sœur, Makoko, est arrivée le 21 décembre à Las Palmas. Au matin, on cherche des listes. Celle des personnes transférées en Espagne, dans un de ces centres qu’on nous dit vides en ce moment. Celle des personnes expulsées. Il y a eu en effet des vols de retour en Mauritanie, au mois de janvier, au nom d’un vieil accord de réadmission datant de 2003. On ne trouve ni l’une ni l’autre.

Si Makoko a voulu, quand cela était possible, faire comme son frère : prendre un avion pour la péninsule avec un document alias ? Ahmed n’a pas dormi. Sa petite sœur, disparue, le hante. Il l’attend ici. Elle est arrivée à Las Palmas, Gran Canaria, répète-t-il. D’abord la police, puis la Croix-Rouge. Puis on est transféré sur une des sept îles. Ce qui s’est passé : elle n’avait pas un bon téléphone. Mais un peu d’argent (il confirme : c’est lui qui le lui a donné).


Marie Cosnay, Des îles Lesbos 2020 Canaries 2021, éditions de l’Ogre, 2021, p. 80-81.



samedi 28 mars 2020

un homme sans histoire


C’était un homme sans histoire. C’était sûrement un homme qui ne voulait pas avoir d’histoire puisqu’il a tout fait pour ne pas en avoir alors que l’Histoire même, celle de l’Algérie, s’est invitée dans sa vie. Sa vie c’est celle de Mohamed Bellahouel dont ce n’est pas le nom, dirait-il s’il savait, s’il savait que Marie Cosnay a entrepris d’écrire son histoire dont on ne sait rien sauf que ça quand même, ne rien savoir à ce point-là du grand-père de son propre fils, c’est forcément savoir quelque chose.

« J’ai été plongée dans le silence Bellahouel. (…) Ordinaire et, toujours cette fameuse ambivalence Bellahouel, extraordinaire. Rien ne se passait avec lui comme on lit que se passent les choses. Ni résistant ni nationaliste ni harki ni européen ni indigène ni musulman ni catholique. Ni de mère ni de père.

L’aîné de ses fils disait : mon père était protestant.
Quant à moi, je n’aurais réussi qu’à trouver des négations. »

Je coupe exprès quand Marie en dit un peu plus, c’est elle qu’il faut laisser dire ce qui peut être dit. If est un château, bien sûr, un château de roman de Dumas ; If est aussi l’hypothèse d’une biographie.



lundi 20 novembre 2017

retour de Pure Fiction

Voilà, la Maison de Pure Fiction, c'est terminé ; retour à la réalité. Tout de même, quelques images pour vous montrer combien cette résidence d'écrivain est bien nommée, toutes prises dans les abords immédiats. En effet j'ai évidemment passé l'essentiel de mon temps à écrire, on en reparlera, et à lire aussi, notamment Tanguy Viel, que je découvre seulement avec son Article 353 du Code Pénal, émouvant et a posteriori troublant justement parce qu'émouvant ; Marie Cosnay avec son très beau Aquerò qui revisite la grotte où la fille l'a vue, et Isabelle Desesquelles, qui sait terminer son roman d'amour juste avant qu'il ne commence, car Un jour on fera l'amour, c'est beau comme un film d'hier ou de demain.







samedi 4 juin 2016

Marie Cosnay écrit la Vie de HB

« Le petit bloc de l'amour de V(alentine) ça fait : je vous aime, ne vous aime plus, vous aime plus que jamais et plus du tout. On recommence : j'aime, j'aime pas. Un petit geste dit l'amour, le contraire. Ces petits gestes (balanciers) vous ne les apercevez pas quand même les regardez de vos yeux. Ils vous parlent. Ils vous disent Oui Non Oui Non. C'est vraiment ici qu'espérer c'est jouir. Oui Non Oui Non, un matin se lève après une soirée, un sujet d'écriture ennuie puis ranime. Il faut faire vite, avaler les pages, chercher la distraction au soir pour aimer son sujet au matin du lendemain. Oui Non. Toujours dans la mort (de l'objet aimé ou du sujet d'écrire) l'ogre se tient, juste au-dessus de zéro. La joie ? »


Marie Cosnay écrit la Vie de HB et c'est un roman, c'est plutôt un roman qu'autre chose, dont le héros ne s'appelle pas encore Stendhal ni même Henri Brulard et pas tout à fait Henri Beyle. C'est paru aux éditions Nous en 2016.

lundi 12 octobre 2015

le mode ambulatoire bien connu des fantômes



Le premier est orangé, lumineux et transparent. On lui voit le squelette. Non, dit Zelda (un murmure) à Mme Heidi.
C’est quelqu’un du futur et (petite voix, dans l’oreille de Zelda) : tu sais comment je le sais ?
Avant que Zelda ne réponde, une deuxième silhouette avance ; celle-là est plus sûre d’elle, elle lève haut les genoux (selon le mode ambulatoire, bien connu, des fantômes), s’approche des deux femmes assises sur le trottoir ; Tom, pauvre Tom, dit Zelda. Tom d’autrefois prend la parole, creux comme tout. Les yeux ombrés, plus noirs qu’il n’avait, paupières zébrées de minuscules veines roses qui irradient de lumière.
Il faut respirer : on dirait qu'il va pleuvoir encore ; ça n’en finira donc jamais ; des années de pluie. On n’est que le 12 novembre ma fille. Vingt ans pour toucher au bout. Dans le ventre du jeune homme flic puis tatoué dans les forêts il y a la forme vingt ans de lui-même. Tom dans Tom. Le deuxième Tom, celui qui est dans le ventre du premier, recroquevillé, une chenille. Là-dedans il faut caser les bras, les jambes. Celui de l’extérieur parle. Il a une bouche grande comme une plaie. Il ne parle pas de lui, c’est comme ça chez les ombres, dit Mme Heidi, il n’y a pas de pitié. Si Mme Heidi avait l’usage de sa main gauche elle pincerait Zelda. A défaut elle lève le moignon droit. Il faudrait peut-être réagir : ce bras ou ancien bras bat comme un cœur et le cœur descend dans les pieds mais ce n’est pas le moment de se faire remarquer. La bouche immense du jeune Tom bel et bien mort veut parler. Il faut lui laisser le temps. Il pâlit. La silhouette qu’il contient, l’autre lui-même dans le ventre, on ne la voit plus. Il dit avant de disparaître : se méfier de l’ami.

Marie Cosnay, Cordelia la guerre, p. 211-212, éditions de l’Ogre, 2015.

Dans ce palimpseste assumé du Roi Lear dont les personnages fraient avec les flics et autres personnages plus ou moins interlopes d’un polar contemporain, les genres se mêlent pour aboutir à une sorte de fresque épique et baroque, fantomatique, étrangement drôle aussi, et politique sans le dire.
Tiens, voilà que je me mets à écrire des quatrièmes de couverture. La lecture de Sanza lettere, précédent et encore tout récent ouvrage de Marie Cosnay, résonne encore, où c’était le road movie qu’elle revisitait.
(Pour Marie Cosnay sur Hublots, cliquez ici.)

dimanche 7 juin 2015

j’avais commencé mon histoire par les oreilles




sans transition puisque nous étions des filles sans transition, j’ai voulu raconter mon histoire à Elodie, mon histoire depuis le début, les vallées se succédaient, il n’y avait pas une source, pas une seule, nos boussoles et nos cartes dans les sacs à dos et les nuits je rêvais d’une chose familière qui n’avait aucun rapport avec de ce que je racontais et nous allions, sans lettres, demi-évaporées les lettres

j’avais commencé mon histoire par les oreilles. Chez moi on trouve des hommes sans oreille et comme ça, sur la route, dans la Kangoo qui faisait un bruit de tonnerre parce que je porte tort d’une façon fatale aux voitures même quand je ne les conduis pas, comme ça dans la Kangoo asthmatique alors qu’Elodie est imperturbable, même si parfois elle m’interrompt par un toussotement aigu de tuberculeuse

le savoir indiciaire se présente sous forme d’une oreille

mon père en avait une fort décollée et avant lui son père en avait une fort décollée – père qui sortit de l’inconnu quand son père à lui de même oreille sortit des tranchées et de l’avant (et donc de l’inconnu) et à l’oreille le père reconnut le fils. Tous 2 traversèrent la mer rouge, père et fils d’oreille décollée, droits sur le pont du bateau, l’un sortant des tranchées et l’autre de l’inconnu, les 2 de même oreille gauche décollée et après eux mon père qui fut de même oreille gauche décollée n’allait pas en rester là


Marie Cosnay, Sanza lettere (road movie), éditions de l’Attente, 2015, p. 60-61.


(Oui, là je suis encore une fois embarqué avec Marie Cosnay, quelque part entre un meurtre invisible et les élections en Grèce ; il y a encore de la place dans la Kangoo si vous voulez.)


lundi 23 juin 2014

métamorphose de Marie Cosnay


Marilyne Peau, je la vois sur scène, se décompose en une multitude de petits espaces cubiques qui vont donner lieu à l’apparition de nouveaux personnages, un personnage roux d’abord, qu’on appelle le frère. Le frère parle à Marilyne Peau, assise par terre, forçant sa souplesse dans des exercices gymnastiques répétés. La sœur répond au frère sur un ton léger. Le photographe fait son apparition, encourage Marilyne Peau, il dit qu’elle retrouvera son niveau des débuts et la colère ou la rage ou la volonté, enfin l’énergie. Le petit déhanché qu’elle a acquis sera sa particularité. Il dit que tous ensemble ils y arriveront. On voit Marilyne Peau triste et douloureuse, puis ils fument des cigarettes tout en regrettant que la vie ne soit plus la chose continue, unie, qu’elle était. Marilyne Peau a un peu bu, pendant ce temps on creuse les tunnels. La nuit, après avoir beaucoup parlé, tout le monde creuse et prépare. Parfois il faut s’arrêter. Le frère empêche Marilyne Peau de boire, il la pousse à s’entraîner encore et il s’entraîne avec elle et s’entraînent avec eux tous ceux qui se cachent avec eux, les voilà qui s’assouplissent, jambes écartées, face à moi, à nous. Le directeur de la compagnie chorégraphique, lui, ne s’entraîne pas. Il semble, whisky et pelle à la main, un peu découragé.
 
Marie Cosnay, Des métamorphoses, p. 56-57, Cheyne, 2012.
 
Le soir le lecteur lit Des Métamorphoses de Marie Cosnay puis le lendemain oubliant qu’il est aussi le lecteur se recompose en professeur qui se dit que ce serait dommage quand même, après avoir étudié avec ses 6e cet extrait du Déluge, celui de la Bible, de ne pas leur lire aussi comment Ovide le raconte dans ses Métamorphoses. Et le voici qui lit, l’attention est raisonnable quand même malgré l’été venu, Deucalion et Pyrrha inspirent la sympathie. L’oracle de Thémis fait lever les sourcils, quand même, jeter derrière soi les os de sa mère, quelle drôle d’idée ; Pyrrha est d’accord avec les élèves. Je leur dis, C’est comme ça, les oracles ne sont pas immédiatement compréhensibles ; j’aurais dû leur dire, Il faut se laisser comprendre. C’est de retour à la maison que le professeur se décompose recompose de nouveau, redevient lecteur, s’étonne que ses divers soi-même ne communiquent pas davantage entre eux ; Marie Cosnay, Marie Cosnay qui par ailleurs traduit Ovide et ses Métamorphoses, devient la sibylle.
 

jeudi 20 mars 2014

Je n’ai jamais entendu parler d’Etienne de Montety…


… donc son avis ne vaut rien.
Cet illustre inconnu s’indigne dans les dignes pages du Figaro de la présence dans l’Anthologie de la littérature contemporaine française, de Dominique Viart (que, tiens, je citais récemment à propos de, ou plutôt Pour Eric Chevillard) de son illustre inconnue à lui, Marie Cosnay. C’est écrit en gros et gras, avec une belle élégance, au milieu de l’article :

Un nom nous est apparu, parfaitement inconnu.

Comme ça, carrément. Marie Cosnay, si vous ne la connaissez pas, vous pouvez déjà jeter un œil dans en bas à droite de ces Hublots, il y a toute une liste alphabétique d’auteurs, vous trouverez facilement, il y a quand même quelques entrées qui la concernent. Allez-y, c’est beau.
Mais Etienne de Montety, dont je n’ai jamais entendu parler, n’a jamais entendu parler de Marie Cosnay, donc selon lui ça ne vaut pas la peine qu’on en parle. C’est le syndrome Patrick Besson, quoi. Patrick Besson, vous vous souvenez ? Ce type qui brandit son ignorance en guise d’argument, sûr d’avoir tous les ignorants pour lui – ce qui, stratégiquement, est plutôt intelligent, il faut le lui reconnaître.
D’ailleurs tiens, regardez mieux, notre indigné s’indigne aussi de l’absence dudit Patrick Besson. Avouez que c’est drôle.
 

lundi 17 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (9)


Le dernier livre paru chez Quidam que j’ai lu date déjà du printemps dernier. Pour une fois, l’auteur n’était pas pour moi une découverte, car Marie Cosnay, il y a des années que je la lis : elle fait partie de mon panthéon contemporain. Je me souviens de ce petit plaisir gratuit que j’ai éprouvé il y a quelques temps, quand j’ai deviné en la voyant discuter avec Pascal Arnaud (rencontrés tous les deux par hasard au Marché de la Poésie) qu’elle allait rejoindre Quidam. Cette nouvelle était quand même teintée d’une certaine amertume parce qu’elle signifiait la fermeture d’une autre belle maison, celle de Laurence Teper, où j’ai lu la plupart des livres de Marie et qui publiait aussi Cathie Barreau. On comprendra pourquoi l’actuelle situation de Quidam résonne aussi désagréablement à mon oreille.
Ce billet est le dernier épisode de ce petit feuilleton publicitaire et assumé comme tel : quand on aime il faut le dire. Que le titre du roman de Marie Cosnay, l’un de ses plus beaux, reste dans vos mémoires : A notre humanité.

dimanche 11 mars 2012

en échange, il faut raconter


L’ancien soldat, qu’est-ce qu’il fait là collé à poil poisseux de sueur ce soir d’été dans le cabanon d’Emmy longtemps après qu’il a fait ce pour quoi il venait, les corps, celui d’Emmy et le sien, sont détachés, le sien collé gras au drap neuf qu’il a porté, une règle fixée par Emmy : les hommes viennent avec le linge, l’ancien soldat qu’est-ce qu’il fait là, longtemps après qu’il aurait dû changer d’humeur, se mettre à craindre les maladies et mépriser la fille – non il dégueule le petit rire inattendu, tout aigu, maigrelet, un rire sans relation avec sa corpulence.
 
Son ventre (alors qu’il est allongé sur le dos dans l’abandon) tombe de chaque côté, à droite des amas de graisse et de l’autre côté, même chose. Il dégueule son petit jeu, l’ancien soldat, et soir après soir c’est ainsi, lui et les autres se donnent le mot, la fille vous laisse faire ce que vous voulez en échange de rien mais il faut raconter, tout ce passé on dit entre nous tout ce passé en ricanant, elle est folle pas mauvaise vicieuse, on revient on n’a pas peur d’elle qui a pourtant ce regard rentré ou c’est autre chose : un œil qui ne se concentre pas comme l’autre, où s’en va l’œil qui s’en va, quand ils parlent, les hommes, elle ne les touche pas sauf en haut du crâne, doucement frottant, elle sait quand il faut appuyer frotter plus fort, ils racontent et quand ils la quittent benêts ne pensent pas la folle, pas encore. Quelque chose en eux connaît la honte. Une honte qu’ils vont inverser en un tour de passe-passe. Pas de petit jeu, pas de petit rire quand ils marchent dans l’aube qui se lève, rideau ouvert, se lève, se lève, ils répètent se lève, je me lève et je vais vers quoi d’où je reviendrai pour la gamine. Ils ont honte mais une honte tendre. Ils ont raconté une histoire à une enfant : jeté ce petit pont entre eux d’autrefois et la gamine d’aujourd’hui. Ils étaient décidément aux côtés de la gamine et d’aujourd’hui – avec les kilos et les pauvretés qu’ont fini par donner la vie, tu calcules, le rêve et la famille, ça a pris cette odeur dégueulasse que tu compares à celle des fosses et de Satory –, ils étaient aux côtés de la gamine et ils étaient aujourd’hui, ils ont jeté le petit pont pour donner à l’enfant nue du bord du canal ce qu’elle a demandé, tout ce passé, ils ont souffert d’un défaut inévitable d’authenticité, ils ne pouvaient rien de mieux ne sachant rien de mieux. Ils songent dans les herbes du retour, les bottes dans les hautes herbes qu’au moins ils ont cherché à ne pas mentir. C’est comme ça et on a obéi.
 
Marie Cosnay, A notre humanité, Quidam, 2012, p. 57-58.
 
Emmy vend son corps contre le récit à vingt ans de distance de ceux qui ont réprimé la Commune. Au printemps 2011 Marie Cosnay écrit un livre sur une actualité de 140 ans. Déchirant.
Marie Cosnay, c’est aussi Entre chagrin et néant, Noces de Mantoue, André des ombres, Les Temps filiaux et bien d’autres avant l’ouverture de ces Hublots.
Sur A notre humanité, qui vient de paraître, on peut déjà lire ce bel article de Bénédicte Heim.


Commentaires

merci Philippe merci mille fois
raconter, oui
Commentaire n°1 posté par marie cosnay le 15/03/2012 à 15h53
Tous les mercis sont pour Marie. (Quel texte ! J'en suis encore tout secoué.)
Réponse de PhA le 15/03/2012 à 17h31

mardi 1 novembre 2011

entre chagrin et néant


Tandis que je lis Entre chagrin et néant, ce constat terrible de Marie Cosnay sur la violence qu’une justice transformée en mécanique dont les différentes parties en dépit de leur humanité ne sont plus que des rouages fait subir aux "sans papiers",
 
http://www.decitre.fr/gi/02/9782913388802FS.gif 
… Un Angolais, résidant depuis très longtemps au Portugal, sans visa Schengen, il faisait un aller retour pour un enterrement. Alors qu’il rentrait, il a été arrêté. Il ne sera pas au travail lundi. Il n’a pas pu prévenir sa femme. Il a une petite fille de quelques mois. Il n’imaginait pas que, régulier au Portugal, il ne pouvait pas faire un aller retour en France. Il montre sa carte de sécurité sociale, un récépissé des impôts. Première prolongation…
 
voici qu’elle tient, depuis quelques semaines, un site complétés par des articles à lire ici.
(Et sur ces Hublots, on sait qu’il faut lire aussi l’œuvre romanesque de Marie Cosnay.)
 
Entre chagrin et néant, publié initialement chez Laurence Teper en 2009, est maintenant disponible aux éditions Cadex, sur le site desquelles vous trouverez plus de détails.


Commentaires

Je l'ai lu chez Laurence Teper, à sa sortie. Souvenir fort de lecture.
Commentaire n°1 posté par Pascale le 01/11/2011 à 18h41
Une manière de laisser les choses parler par elles-mêmes. Terrible.
Réponse de PhA le 02/11/2011 à 17h46
merci Philippe
aujourd'hui - ces jours ci - ici à Bayonne comme ailleurs on ne sait plus comment faire - tant de familles déboutées de l'asile, dehors, sous des tentes, aucune solution, sauf particulières, intenables longtemps...
Albanie, Russie, Arménie, Géorgie...
Découragement...
Il y aurait tant à dire, à montrer...
On peut faire ? On peut dire ?
Oui on le peut. Mais au lieu de m'y mettre, je le sens, il monte, l'état comateux...
Je t'embrasse
Commentaire n°2 posté par marie cosnay le 04/11/2011 à 12h14
Il faudrait que beaucoup de gens lisent ce livre.
(Bon, on a peut-être le droit d'espérer que d'ici quelques mois les choses s'arrangeront un peu de ce côté-là, sinon ailleurs.)
Réponse de PhA le 04/11/2011 à 16h09
 

mardi 20 octobre 2009

comme un écho

Et en y repensant, tout à l’heure dans la forêt, ceci aussi, lu en juillet (c’est-à-dire loin du blog), mais pas oublié, forcément – là aussi, comme un écho.
  
Elle souffle, le souffle s’arrête, appellent-ils cela mourir, le cœur deux fois bat et bloque, reprend, elle est collée à une peau d’arbre qui s’effrite, les ramures maigres grises font de petits manteaux, parapluies tristes, tout autour sont les champs déserts, des grumeaux de sable. Elle a des muscles comme des nœuds dans de l’écorce d’arbre. Elle penche, au loin est un bosquet de silhouettes, ce sont les poursuivants, ils sont verts et feuillus, droits, ils sont dans le creux, l’ombre foncée, la bouche de la plaine, ils parlent une parole d’arbres feuillus, de pins. Elle leur dit ce qu’il en est, je suis morte deux fois, une fois et l’arrêt brusque de ce qu’on dit le cœur, la deuxième fois ça reprend au-delà, au-delà du cœur ça reprend, quand l’image de moi s’en est allée, une buée. Je ne dirais pas le cœur, mais par (ou dans ou hors) la bouche.
 
Marie Cosnay, Noces de Mantoue, Laurence Teper, 2009, p. 40.


Commentaires

Ouf ! celui-ci, je l'ai déjà lu (déjà à cause de vous à l'époque, d'ailleurs)
Commentaire n°1 posté par Anna de Sandre le 20/10/2009 à 22h37
Et pourtant j'avais justement oublié d'en parler, pour cause de vacances ! C'est aussi à l'occasion de la parution de Noces de Mantoue que MC a été immatriculée chez les Anges.
Commentaire n°2 posté par PhA le 20/10/2009 à 22h52
Oui, je l'ai lu. Et j'avais trouvé que c'était un des plus mauvais dossiers de TG d'ailleurs.
Commentaire n°3 posté par Anna de Sandre le 21/10/2009 à 07h20
A ce point-là ? C'est vrai que je ne découvrais pas Marie Cosnay, et que j'avais surtout été curieux de l'interview.
Commentaire n°4 posté par PhA le 21/10/2009 à 13h52
Oui. J'ai cru qu'il décrivait une quiche inculte, ce qui n'est pas le cas.
Commentaire n°5 posté par Anna de Sandre le 21/10/2009 à 14h04
En effet (ce qui ne m'empêche pas, par ailleurs, d'apprécier certaines quiches). (Mais ce n'est pas si courant que TG et ses complices nous servent de la quiche au menu, tout de même.)
Commentaire n°6 posté par PhA le 21/10/2009 à 14h26
Et une quiche angélique, c'est bon. Mangez-en.
Commentaire n°7 posté par Anna de Sandre le 21/10/2009 à 22h44
 

jeudi 9 avril 2009

comme vous j’ai crié et suis tombée du sexe d’une femme

Là-bas chaque être est de même sexe, de même âge. Là-bas personne ne peut concevoir les couleurs.  Ma famille venait des Temps Filiaux, ce qui est rare et ­explique que je sois sensible, pour peu qu’au moyen d’une liste l’on y aide ma mémoire, aux stridulations d’insectes et explosions des chatons de genêts. Ma mère a grandi dans le ventre de sa mère, en est issue, a respiré un air plus ou moins confiné. Moi-même comme vous j’ai crié et suis tombée du sexe d’une femme. Là-bas gouverne un Conseil d’officiers. Le Conseil suit et note les agissements de chacun, sans souci de morale. Tu dois être noté, être su, dit, produit, écrit, compté. Compté aussi, puisque là-bas il arrive que l’on puisse être dit par les chiffres. Mais certains passeraient à la trappe. Chacun des oubliés libère une masse de récits, chiffres, notes, paroles que les mem­bres du Conseil s’approprient, pense-t-on, illégale­ment. C’est ainsi que le Contre Ministère qui m’emploie en est venu à surveiller les surveilleurs. Qui sait ce que les surveilleurs pourraient faire des récits, productions, libertés de nos errants. Une maladie portée, excrois­sance de ceux qui ne furent chiffrés, ulcères de pen­sée. La mémoire ; personne n’en est là. Les efforts auxquels il fallut se prêter, pour animer la mienne. J’avais pourtant par naissance toutes les capacités.
 
Peu à peu le CM a élargi ses fonctions. Il envoie des espions dans les Temps Filiaux. Les meilleurs des espions sont ceux issus de femmes elles-mêmes issues de femmes. Mais nous sommes de moins en moins nombreux. Nos conseillers entraînent donc de manière accrue ceux qui ne sont nés que de soi. Ces agents-là, tombés de rien, ne savent développer certaines facultés sensibles. Ils sont affectés à d’autres enquêtes qu’à celles que je dois mener (moment vif de la crise, passage de la vie à la fin, jusqu’au cri). Je ne sais rien de l’usage que le CM fera de mon travail. Je me suis engagée à ne pas me soucier des consé­quences de ma mission.
 
Dire, cela m’est arraché de nuit, je parle aux murs de la chambre où je suis enfermée, au moustique épin­glé, aux grillons qui bruissent dans les herbes. Je pense aux lieux de là-bas où je fus. Où je fus sans la montée du drame – ou bien dedans, à l’intérieur du drame, sans savoir qu’il était installé invasif à peine que l’on est – pourtant jadis drame fait de chair, nourri aux mamelles et tapi dans de douces cavernes. Chercher le couloir tapissé, corridor des fatigues. Devant l’entrée surgit ce que l’on ne voit pas toujours. Le drame se présente. Mettez-moi en ailleurs criait une vieille dame en mourant.
 
Marie Cosnay, Les Temps Filiaux, Atelier In8, 2008, p. 27 à 29.
 
J’ai retrouvé Les Temps Filiaux ! Ça se fête ! (Il y a quelque chose de caché, de secret dans ce texte, et que ce soit précisément ce livre qui se dérobe à mes recherches, c’était une jolie coïncidence.)




Commentaires

Merci pour cette lecture. Me donne vraiment envie d'y aller voir. A bientôt Philippe
Commentaire n°1 posté par cecile portier le 09/04/2009 à 11h51
En fait je n'ai lu que trois livres de Marie Cosnay, et - c'est un peu bête à dire mais je le dis quand même - je trouve à chaque fois que c'est un auteur qui gagne à être lu.
Merci de la visite, Cécile.
Commentaire n°2 posté par PhA le 09/04/2009 à 13h24
Philippe, je me permets de " photocopier " (on dit comme ça ?) le commentaire de Cécile.
Commentaire n°3 posté par Christophe Borhen le 09/04/2009 à 21h46
Bien sûr, Christophe - et je photocopie mon propre commentaire.
Commentaire n°4 posté par PhA le 09/04/2009 à 22h14
Je suis en colère contre Thierry Guichard. Il me donne d'habitude envie de lire les écrivains dont il parle, et dans son numéro sur MC il a donné une image d'elle qui n'a pas mis en valeur son talent d'écrivaine. Je lui en veux.
Merci à vous pour cet extrait qu'il aurait dû publier en partie.
Commentaire n°5 posté par Loïs de Murphy le 15/04/2009 à 09h19
C'est aussi que ces Temps filiaux ne sont plus l'actualité de Marie Cosnay (d'ailleurs il faut aussi parler des livres à contre-temps...)
Commentaire n°6 posté par PhA le 21/04/2009 à 01h00

mardi 24 février 2009

les noms décidément

Port-Louis 1873
 
J’ai connu un Félix Desvages. Ce n’est pas celui qui dans les tranchées de 1915 avait trente-deux ans, avait vu le jour en 1873 à Port-Louis, était crépu, sans doute fils de mulâtresse ou fils de fille de mulâtresse, de cabresse, comme on disait. Le Félix Desvages que je connus est fils de ce Félix-là, fils lui-même du premier des Félix du même nom.
 
« Cabresse » ? j’avais toujours entendu câpresse.
Je ne m’attendais pas à ce qu’un livre de Marie Cosnay me renvoie aux Antilles.
(Marie Cosnay, où donc ai-je bien pu fourrer Les Temps filiaux ? On ne devrait jamais ranger sa bibliothèque, on ne s’y reconnaît plus. (Heureusement j’ai eu le temps de le lire avant qu’il ne disparaisse, aussi mystérieusement que ce qu’il dit.))
 
Félix deuxième, né à Port-Louis de Félix Des­vages et d’Augusta Dalix mourut le 9 février 1919 d’une « maladie contractée aux armées », à l’hôpital Bégin de Saint-Mandé. Je connus son fils, Félix, et sa fille, Andrée, que pour des rai­sons inconnues on appelait Hélène.
 
Les noms. Tous les livres parlent des noms. Les noms qu’on porte et ceux qu’on ne porte pas.
 
De 1840 à 1880 à Port-Louis, les actes de décès sont en plus grand nombre que les actes de naissance. Sur les microfilms des Archives nationales, l’acte du 17 janvier 1873 confir­mant la naissance de Félix deuxième propose pour la mère Augusta un autre prénom que celui que la légende familiale lui a attribué : Rose Dalix.
 
Les prénoms aux Antilles. Mes grands-parents maternels – ma mère elle-même – ont vécu sous d’autres prénoms que ceux inscrits sur leurs papiers d’état-civil. (Et Civil même est un nom de ma famille : nom de l’Etat qui donne son nom.)
 
Cette recomposition par fragments d’un passé familial complexe n’est pas sans faire écho à ma lecture récente de Ma solitude s’appelle Brando, d’Arno Bertina.
 
L’éruption de la Soufrière, le mercredi 8 février 1843, provoque un incendie qui détruit maisons et plantations. Des milliers de personnes sont piégées, brûlées. Le premier adjoint du maire, Anatole Léger, tente de maîtriser l’affolement. Au Bois-debout, on cultive la canne à sucre.
 
Le 29 avril 1897, un tremblement de terre pro­voque une grave crise économique. Quelques familles de colons se retirent, dont celle d’Alexis Léger Léger, qui s’installe à Pau.
 
Plus de vingt ans auparavant, dans les années 1870, Félix Desvages nommé gardien de la paix à Port-Louis, rencontre Rose Dalix qu’il appelle Augusta. Rose est née esclave. En 1873, le 17 janvier, elle met au monde l’enfant qu’on dit Félix comme le père. Trouvé dans les affaires des enfants de Félix mort de grippe à Saint-Mandé après quatre ans de front : l’acte de vente, illé­gal car il s’agit d’une enfant impubère, dûment signé pourtant, daté du 23 juillet 1844, concer­nant Rose ou Augusta, de mère marronne ou disparue. Le reste s’est perdu. L’acte conservé rappelle l’amour que le gardien de la paix à Port-Louis connut, et la mère que Félix (quatre ans dans la boue, uniforme empesé, perdu en embuscade, retrouvé par son escouade serré évanoui un jour d’hiver 1916 à un compagnon dont le front fendu sépare verticalement en deux parties égales le visage, un œil dans chacune, sauvé, mort de grippe à Saint-Mandé en 1919), sembla ne jamais connaître.
 
Félix premier est gardien de la paix. L’insur­rection commencée le 22 septembre 1870 en Martinique atteint la Guadeloupe. D’anciens esclaves, ouvriers, brûlent une cinquantaine d’habitations. Peut-être l’insurrection conduit-­elle le gardien de la paix à Saint-Louis. Il ren­contre Rose, a d’elle un fils, reconnu plus tard en métropole.
 
Je n’écris pas un billet sur l’actualité aux Antilles.
Je n’écris pas non plus un billet sur le livre de Marie Cosnay André des Ombres, qui pourtant le mérite bien. Ni sur les Antilles donc : trop incertain mon regard d’Antillais délavé, antillais d’origine seulement, et grandi en métropole.
J’écris sur les noms encore. Ecrire sur les noms c’est poser la question de l’identité ? se demande l’Antillais délavé.
 
André des Ombres, de Marie Cosnay, est paru en 2008 aux éditions Laurence Teper. Les passages ci-dessus, interrompus par mes divagations, sont aux pages 34 à 37. On en trouvera une lecture attentive par Jean-Marie Barnaud sur Remue.net.
Les Temps filiaux est un autre livre de Marie Cosnay, dans une toute autre tonalité, paru également en 2008 dans la collection In situ de l’Atelier In 8. A l’occasion de la parution de ces deux livres, une interview de l’auteur dans le Matricule des Anges, un article de Jean-Claude Lebrun dans l’Humanité, un article de Pascale Arguedas sur son site Calou.
 
(Nouvelle recherche. Toujours introuvable, Les Temps filiaux. Mais tiens, j’ai retrouvé Petit traité de désinvolture, de Grozdanovitch, également égaré. Je poursuis les recherches.)



Commentaires

Ah voilà, je me demandais où j'en avais entendu parler... Dans Le Matricule des anges :o)
Commentaire n°1 posté par Loïs de Murphy le 25/02/2009 à 09h33
Bonne lecture...
Commentaire n°2 posté par PhA le 25/02/2009 à 10h01