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samedi 19 novembre 2022

Bougalkov chez Inculte

Il y a toujours des livres qu’on n’a pas lus et parfois quel bonheur de les découvrir. Je sors tout juste de la lecture du Maître et Marguerite de Boulgakov, reparu chez Inculte en 2020 dans une nouvelle traduction due à André Markowicz et Françoise Morvan, et acquis à l’occasion d’une rencontre avec les traducteurs à l’indispensable librairie Charybde. (Oui : je ne l’avais pas encore lu – le diable sait comment la chose est possible.)



vendredi 20 avril 2018

Abiographie d'un auteur effacé : la Dissipation, par Nicolas Richard


Parler de son sujet ce n'est vraiment pas parler du livre, me dis-je en refermant ce livre-ci qui, si j'en résumais son contenu en trois mots, pourrait faire penser à ce livre-là, alors qu'il n'y a pas plus éloigné, non il n'y a pas plus éloigné de Toutes les pierres de Didier da Silva que la Dissipation de Nicolas Richard ; même si les deux évoquent des figures d'écrivains, vraiment j'insiste : rien à voir – sauf à dire le plaisir que chacun très différemment m'a procuré ; foin de l'apparent sujet, je suis le seul point commun (c'est le lot du lecteur).
La Dissipation en revanche ne cache pas sa référence à la Disparition, un sipa y remplace un pari ; Nicolas Richard en effet en fait un autre. Car c'est moins la lettre que l'être qui dans la Dissipation non pas disparaît mais en effet se dissipe, au point que du nom l'écrivain ne reste que l'initiale, de l'être demeure la lettre, bien sûr que c'est un P, bien sûr que non ce n'est pas Perec ; l'auteur de ce livre est aussi traducteur, je vous laisse chercher qui se dissipe, c'est facile. Car le traducteur ne veut pas trop en dire, je parle à présent de celui qui dans ce livre parle, c'est aussi l'un des personnages, traducteur de P soucieux de préserver l'effacement de son auteur, en correspondance avec une étudiante en thèse, mais l'est-elle vraiment ? Roman d'espionnage est-il précisé sous le titre et à la lire c'en est un, tous les ingrédients y sont. D'autres voix font rumeur autour de P, dont celle de « celui qui va trop loin », par les yeux duquel le roman d'espionnage le redevient au pied de la lettre.
La figure de l'écrivain est un trou noir, jusqu'à quel point P en joue nul ne peut le dire. Il y a aux Etats-Unis une mise en scène de l'écrivain à laquelle certains sont tentés de résister, comme on les comprend ; en Europe aussi sans doute mais la mesure y est moindre. Ce P qui refuse d'apparaître n'en devient que davantage un centre de gravité des fantasmes ; le plus anodin détail, la plus banale anecdote s'y pare soudain de l'aura des mythes, résonne comme un oracle sibyllin. L'abiographie de l'auteur effacé devient l'un de ses plus fameux roman : son traducteur Nicolas Richard l'a traduit.


dimanche 11 mai 2014

le document crée de la mélancolie


En prenant toutes ces photos, je manifeste et tente d’objectiver une détresse souterraine qui se moque pas mal des gestes vains que je peux faire puisqu’elle ne desserre pas son étreinte. Morsure. On doit même pouvoir dire que ces gestes la nourrissent ; il y a toujours un horizon artistique derrière chaque prise de vue, qui ennoblit le geste dérisoire et la motivation psychologique – la détresse a un manteau qui a de la gueule (la veste en croco de Sailor, par exemple) et ça relance les dés. Voilà : le document crée de la mélancolie. L’archive, le document portent en eux, intrinsèquement, essentiellement, une mélancolie. Ils soignent une détresse par la mélancolie. Celle-ci ne relève pas obligatoirement de l’individu, mais elle s’impose à lui de l’extérieur à coups de petites capsules de temps. Le document c’est du temps encapsulé qui explosera de manière fugace. Le document est une madeleine (la réciproque n’en est pas vraie, elle serait même difficile à avaler). Le document pose un rapport mélancolique au monde ; on commence par vouloir fixer telle ou telle chose (un coin de rue, le sourire d’une petite fille) et on en vient à vouloir tout sauver parce que tout va disparaître. Dans son Histoire de la Commune de 1871, Lissagaray écrivait : « l’exécution fut aussi folle que l’idée » et c’est un peu ça, oui : le remède est aussi fou que la maladie, quand il ne la modèle pas de bout en bout.
 
(C’est un extrait de « Photographier mille fois le ciel, ma fille ou le maréchal Foch » d’Arno Bertina et c’est dans le volume 2 de Devenirs du roman, Ecriture et matériaux, signé par plein de belles plumes chez Inculte.)
ciels 11 avril 2013 005

jeudi 24 avril 2014

de l’art de faire son aut(opromot)eur


Le principe de ce blog, comme tout blog d’écrivain, est de promouvoir l’œuvre de l’auteur du blog. Mais pour le faire habilement, il convient de faire aussi comme si on faisait la promotion du livre d’un autre auteur ; ça passe mieux. Il convient cependant choisir avec subtilité le livre que l’on va mettre en avant. Par exemple, si je cite Claro :
 
Réussir une rencontre en librairie
 
Quand tu sors un livre, tu sors aussi.
 
Tu peux rester chez toi, mais ne viens pas te plaindre.
 
Donc, quand ton livre sort, suis-le comme si tu étais son ombre. En plus, c’est le cas. On dit que tu l’accompagnes, à croire qu’il s’agit d’une vieille tante qui n’a pas le sens de l’orientation ou d’un conjoint célèbre qui n’a pas envie de s’ennuyer toute la soirée. On appelle ça aussi de la promotion, mais tu es écrivain, comme Balzac ou Rimbaud, et non VRP, comme qui tu sais, alors ton livre, hein, tu l’accompagnes – et surtout tu essaies de rentrer sans lui.
 
Claro, Cannibale lecteur, Inculte, 2014, p. 429
 
c’est évidemment une manière de vous rappeler que samedi et mardi prochains notamment, c’est bibi que vous aurez la possibilité de rencontrer en librairie, en compagnie de Rien ; regardez donc en haut à droite pour les détails pratiques. (On notera au passage comment l’habile auteur du blog joue de l’homonymie, puisque Rien est aussi le titre d’un livre qu’il n’a pas écrit ; il paraît en effet qu’Emmanuel Venet s’en est chargé récemment, j’aurai certainement l’occasion d’y revenir.)
 
« Il y a plusieurs façons d’accompagner son livre, qui ne s’excluent pas et qui même se complètent », nous dit Claro (ibidem) :
 
« 1/ En en lisant des extraits (et là tu regrettes un peu de n’avoir pas tout simplement écrit un livre composé d’extraits)… »
 
ce qui en effet n’est malheureusement pas le cas de Rien (d’une affaire de regard) mais je compte bien me rattraper une prochaine fois car en effet je regrette déjà
 
« … On appelle cet exercice une lecture, même si on est bien d’accord que la plupart du temps on dirait une dictée.
2/ En en parlant – on appelle ça une causerie (…) »
 
Attendez, il y a un passage qui m’inquiète un peu un peu plus loin. Ah, voilà :
 
« … Si ton livre ne se raconte pas, s’il est dépourvu d’intrigue et de rebondissements, organise plutôt un happening dans une galerie avec des musiciens qui couvriront tes paroles décousues par des loops à la guitare pendant qu’on projettera des photos d’amibes sur les murs en béton. »
 
Non, finalement ça va. Mon livre est plein d’intrigues et de rebondissements. Tout va bien : pas besoin d’amibes guitaristes.
 
« 3/ En attendant que le public te pose des questions. On appelle ça un échange – tu verras, quand ce sera fini, ce mot te fera beaucoup rire. (…) »
 
Bon, en même temps, c’est au cas où il y aurait un public, hein.
 
« 4/ En signant ton livre. On appelle ça une signature ou, plus classe, une séance de dédicace. (…) »
 
Oui, en tout cas, l’idée, c’est d’écrire encore une fois son nom dedans. Comme si sur la couverture ça ne suffisait pas. Revendiquer sa responsabilité dans cette affaire. Reconnaître ses torts. Avouer son crime.
Et ça c’est quelque chose qui ne va pas de soi pour moi. Le fait qu’il s’agisse d’une réédition bien sûr ne fait que me le souligner, mais au fond ça me fait à chaque fois cette impression. Je ne me sens pas auteur. Ou plutôt : je me sens juste un peu plus auteur que pour les livres que je n’ai pas écrits, mais pas beaucoup plus – car même pour les autres, j’ai des soupçons. Je ne me sens pas complètement innocent. J’ai une vague impression de faire partie d’un vaste truc qui commet des livres sous les identités les plus diverses – lesquels n’étant pas nécessairement bons, j’évite la plupart du temps d’en parler et surtout de les lire. C’est pour ça aussi que quand je les aime, j’en parle, même s’ils sont parus sous un autre nom. Car la personne derrière l’œuvre, celle qu’on fait passer pour l’auteur, j’en pense ce que je disais l’autre jour en préambule au livre d’Antoine Brea. Dommage qu’on ne puisse pas en faire l’économie.
(Et bien sûr, le Cannibale lecteur de Claro, pour ceux qui ne connaîtraient pas, outre quelques pages croustillantes dont j’ai tiré les extraits ci-dessus, c’est aussi un recueil d’articles lumineux notamment sur Lutz Bassmann, Hélène Bessette, Michel Butor, Raymond Federman, Reinhard Jirgl, B.S. Johnson, Gabriel Josipovici, Emmanuelle Pireyre… j’avoue que je n’ai pas encore tout lu.)

lundi 21 octobre 2013

un mur au bout de la course


Au petit déjeuner le lendemain matin dans ce café, 1h30 de l’aprem, Iris portait un pull marron très joli et un jean délavé fraîchement repassé. Son visage était lavé de frais, ses cheveux peignés, elle ressemblait à n’importe quelle jeune fille de la grande ville. Comme si j’étais son grand frère qui lui payait à manger en ville.
On avait commandé du jambon et des œufs, des grands verres de jus d’orange, du café. Elle m’a parlé d’elle. Comment elle s’était mise avec Sport. Où elle habitait avant. Pittsburgh. Je me disais que rien n’était impossible, les gens peuvent se parler s’ils font un effort. J’ai pensé qu’Iris et moi on pouvait faire l’effort d’être amis. J’avais pas peur de Sport ou du vieux.
J’ai dit : « Pittsburgh. J’y suis jamais allé, mais ça me paraît pas si moche.
– Pourquoi est-ce que tu veux que je retourne chez mes parents ? Ils me détestent. » Iris haussait de nouveau le ton. Elle était vraiment à cran. « Pourquoi tu crois que je me suis barrée ? Y a rien là-bas. » J’ai recommandé du café. J’ai dit : « Tu peux pas vivre comme ça. C’est l’enfer ici. Si t’es pas malade maintenant, tu seras bientôt accro ou tu mourras ou je sais pas quoi. Les filles ont besoin d’être protégées. »
Iris a voulu vanner là-dessus : « T’as jamais entendu parler de la libération des femmes. »
Bon, comment lui dire que j’avais besoin de l’aider. Comment lui dire qu’elle était tout ce qui se dressait entre moi et cette chose horrible qui allait se passer.
 
Richard Elman, Taxi driver, traduit par Claro, Inculte, 2013, p. 145-146.
 
N’est pas le roman qui a inspiré le film mais le roman inspiré du film et Claro est bien placé pour vous en dire plus. Ça se lit comme un taxi conduit à toute allure même par moi qui lit comme une tortue même si je me suis pris cet été une amende pour excès de vitesse en Suisse non mais franchement. Et le fait qu’on sache comment ça va finir (mais pas comment ça va être dit) est comme un mur au bout de la course.
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg1qOSpyHTTsTXjt7dYOp8pHCYon8AtSaM5Q3mXIlt3ooc_ak-2K9lbXnukNegmw7Vek1TVKvRtxsZ_LHoU-NVWArapFMuzHmig1UDLz_1YZJNydOpQH6TqUu3aAzzu1W0dn5N06ZHTMFc/s1600/15212_365125570272824_1000070473_n.jpg

mercredi 25 avril 2012

comme un basculement symbolique


Aux images traumatiques de jeunes soldats américains rapatriés dans leur cercueil depuis les bases militaires du Vietnam étaient venues se saccéder en un sanglant souci de symétrie historique les images de jeunes soldats soviétiques tués, blessés et humiliés par les irréductibles combattants des montagnes afghanes. La perte de plusieurs milliers de ces soldats russes tombés dans les opérations de harcèlement constant et les innombrables traquenards mitonnés pour eux par des moudjahidin pareillement pourvus de fusils d’assaut AK-47 avait constitué une étape décisive, sans doute même la première, dans le processus de démantèlement de l’empire communiste ; ces pertes accumulées dans les rangs de l’Armée rouge étaient le signe manifeste d’un soulèvement de l’organisme soviétique contre lui-même, comme si la simple présence de ces armes parmi les ennemis de l’intérieur afghans contenait déjà la promesse biologique d’un cancer à. venir. Il y avait aussi dans l’humiliation de cette guerre perdue d’avance contre ces insurgés musulmans quelque chose de l’ordre du basculement symbolique, de la perte d’aura idéologique, puisque l’arme jusque-là brandie pour l’affranchissement des peuples était désormais en partie employée à l’asservissement et à la domination de ces peuples : la part émancipatrice de l’AK-47 avait été dès lors comme subrepticement retirée aux mouvements progressistes et laïcs pour être peu à peu allouée à des forces politiques se réclamant du conservatisme et de la religion – et la révolution islamique se déroulant presque au même moment en Iran où circulaient aussi des milliers d’exemplaires de l’AK-47 apportait à cet égard la confirmation de ce basculement à une échelle encore plus importante, à l’échelle d’une nation tout entière – la redistribution symbolique se concluant enfin tout juste quelques années plus tard avec la formation du parti de Dieu libanais, groupe armé soutenu par la nation islamique iranienne alors en guerre contre l’agresseur laïc irakien, et dont le drapeau jaune vif exhibe en son centre une Kalachnikov couleur vert bouteille.
 
Oliver Rohe,  Ma dernière création est un piège à taupes, p. 57 à 59, Inculte, 2012.
  
 « Mikhaïl Kalachnikov, sa vie, son œuvre », c’est le sous-titre. On avait presque oublié que Kalachnikov fut d’abord le nom d’un homme, dont l’histoire alterne en pointillé avec celle de son ��uvre, qui lui a pris son nom, est devenue un symbole autant qu’une arme, un symbole qui bascule avec l’Histoire.
Le Matricule des Anges du mois d’avril consacre son dossier à Oliver Rohe.

http://www.lmda.net/imnavig/unes/couv132.jpg

Commentaires

La "Kalach", mythe automatique, avec son inventeur déjà auréolé d'une gloire mondiale.
Dans la littérature à chargeurs, le petit "clairon" français fait pâle figure...
 
Commentaire n°1 posté par Dominique Hasselmann le 26/04/2012 à 09h07
Tiens, la seule arme que j'ai tenue (bien forcé) entre mes mains.
Réponse de PhA le 26/04/2012 à 15h40
Comme quoi qui crache en l'air ne tarde pas à se prendre un mollard sur le crâna.
Commentaire n°2 posté par Lza le 28/04/2012 à 09h59
Ou bien : on n'est jamais sûr du sens du vent.
Réponse de PhA le 28/04/2012 à 17h25