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mercredi 30 avril 2014

je veux


ici les bruits vibrent chantent murmurent sans arrêt je veux
éviter que mes meringues ne tombent en les sucrant avec
du sucre glace avant de les enfourner je veux que
le couple du jour partage son premier rendez-vous dans
un salon aménagé pour l’occasion je veux un design
particulièrement délirant qui achève de donner vie à un monde
de jobards meurtriers je veux plus vivre ce que je
vis là mon existence est devenue un enfer sans nom
mais en même temps Victor convoque Leanna dans son bureau
alors que sur tes conseils de Phyllis Jack impose à
Diane des règles de vie draconiennes et Katherine et Mack
se liguent contre Max qui est devenu méchant et violent
je veux que la tempête souffle sur les paddocks et
qu’une vraie tornade soit déclenchée sur Renault je veux
un petit film de cul pour nos vingt-cinq ans
de mariage je veux une adresse fiable de l’actrice
qui joue Susan dans Desperate Housewives car ma sœur est
fan je veux y gerber encore des bouts de légumes
dans cette sauce bolo je veux changer de musique et
plus vite que ça je veux un coupe-frites aux
pieds antidérapants pour des frites de forme régulière je veux
qu’elle soit enculée à son enterrement de vie de
jeune garce je veux une poule au riz comme Colette
je veux connaître en tant que téléspectateur assidu de Zorro
l’année de tournage des épisodes actuellement programmés sur France
3 je veux optimiser l’espace occupé par mon escalier
 
Ian Monk, , Cambourakis, 2014, p. 85.
 
Car pendant ce temps d’autres livres paraissent pour lesquels ma paresse peine un peu à trouver les mots ; en tout cas ici, vraiment ça vaut la peine de suivre une sorte d’oreille mobile et invisible à l’écoute de ce qui se dit partout  ; voilà c’est l’essentiel de ce que je veux – dire.
http://www.cambourakis.com/IMG/gif/la-couv.gif

mercredi 16 octobre 2013

ses yeux tournés vers l’intérieur


[…] En effet, il arrive quelquefois que le liquide propre et homogène du crâne, la cervelle sollasi (comme nous l’appellerions) s’altère. J’ai pu voir moi-même de ces substances corrompues et moisies que j’appelle des composés organiques recouvrir le sol propre en de nombreux endroits. Ces substances périmées, toxiques, peuvent pénétrer dans la tête des Sollasis et empoisonner leur organe de la réflexion. Dans de tels cas un épais dépôt visqueux précipite sur la paroi dorée du crâne, il trouble la pureté de la lentille de l’œil, les rayons extérieurs ne sont plus en mesure de pénétrer le cerveau mais, se réfractant dans ce dépôt translucide, ils altèrent la vraie image des choses, ils créent de fausses notions. Un Sollasi souffrant ainsi peut être identifié par ses yeux alors tournés vers l’intérieur ; ses paroles perturbées et fiévreuses prouvent qu’il voit son propre cerveau à la place du monde qu’il devrait voir, et il parle de son cerveau, de cet instrument simple et insignifiant qui ne vaut quelque chose que par son emploi, comme si celui-ci était lui-même un univers.
 
Frigyes Karinthy, Farémido, le cinquième voyage de Gulliver, Cambourakis, 2013, p. 48-49.
 
Paru en 2013 en France grâce aux éditions Cambourakis, c’est en 1916 qu’est paru en Hongrie cet addenda aux Voyages de Gulliver, sous la plume de Frigyes Karinthy ; à la fois tout à fait dans le ton de son illustre aîné et en même temps ancré dans le présent puisque c’est en pleine première guerre mondiale que Gulliver, revenu de son dernier voyage chez les Houyhnhnms et parfaitement inconscient d’avoir laissé passer plus de deux siècles (Karinthy oublie volontiers ce détail inintéressant avec une élégante désinvolture), se retrouve sur Farémido après avoir tenté une fuite inespérée en hydravion. Chez les Sollasis, habitants de Farémido dont le langage est musical, la vie est une maladie et les êtres vivants des germes pathogènes, susceptibles d’altérer passagèrement les mécaniques merveilleuses et quasi-éternelles que sont les Sollasis, comme on le voit dans le passage ci-dessus.
Si j’ai choisi ce passage, c’est sans doute à cause d’une sorte d’ironie du sort : Frigyes Karinthy (lequel est aussi, rappelons-le, le père de l’auteur du formidable Epépé qui ressort ces jours-ci chez Zulma) sera vingt ans plus tard, à l’occasion d’une tumeur au cerveau – pardonnez-moi ce ton léger que je lui emprunte – l’auteur d’un mémorable Voyage autour de mon crâne, ouvert comme un œuf à la coque parfaitement éveillé pour les besoins de l’opération.
(Et si j’ai choisi ce passage, c’est aussi parce que moi aussi j’ai souvent du mal à faire la différence entre ce que je vois à l’extérieur et ce que je vois à l’intérieur.)
Merci enfin à Didier da Silva, sans qui cette ironie du sort aurait pu m’échapper.
http://www.cambourakis.com/IMG/gif/Faremido-couv.gif

Commentaires

La saga Karinthy continue ! 
(Je te remercie de mon côté pour le discret teasing — même s'il est un peu tôt pour ça ? (moi, je n'ose pas encore (après tout, je viens tout juste d'achever la correction des épreuves...)))
Commentaire n°1 posté par Didier da le 17/10/2013 à 08h18
Ah mais je n'y suis pour rien si l'ironie du sort a frappé ce malheureux Frigyes et si c'est toi qui me l'as fait connaître. Moi je ne fais qu'écrire sous sa dictée, à l'ironie du sort.
Réponse de PhA le 17/10/2013 à 16h50
Ce style de livre m'est très familier. Merci pour le partage :)
Commentaire n°2 posté par Evénement Socrate de Paulin Ismard le 17/10/2013 à 10h13
http://www.eklablog.com/
c'est vous aussi ?
Commentaire n°3 posté par lopap le 17/10/2013 à 16h32
Je ne suis pas sûr de comprendre votre question mais je l'aime beaucoup.
Réponse de PhA le 17/10/2013 à 16h55

jeudi 6 octobre 2011

Les Ales se mettent à deux.



C’est ici qu’apparaissent les cerviboucs. Et pas en Grèce ni en Saintonge, je le sais pour en avoir levé deux dans toute ma carrière. Ils sont rares et signe d’une chasse faramineuse où le temps d’un passage long comme un transsibérien, les étangs résonnent et montent contre la voûte comme le son concentrique d’une cymbale unique frappée par le maillet d’un dieu. Sa larve s’enfouit soixante-six ans dans les vases profondes des tourbières archéologiques, dévorant la vie sous toutes les formes disponibles en ces lieux, puis elle sort de terre et monte dans les eaux troubles, à l’envers, crochets et mandibules pointés vers le fond, aspirant au fur et à mesure de son ascension le corps de ses proies liquéfiées par sa piqûre. Au terme de la traversée, elle se plante comme un pieu à la surface des eaux, gonflée des esprits animaux qu elle a gobés en montant et commence alors à sécréter une substance translucide qu’un œil non averti ne saurait apercevoir et qui flotte comme un crachat tombé au; gré du vent, et s’enroule sur lui-même, et sèche, racornit, pétrifie, et de mou devient dur, d’habitacle devient coquille, de coquille, diamant et du diamant qui se fend surgit le cervibouc tel un génie trop longtemps compressé dans une cartouche de propane. Il est dense, il est volatile. Il est lourd, il est lent. Il est effilé comme un roseau, coupant, lourd, habile comme un éléphant. Il est souple, résistant, aguerri, inconscient. Il peut remonter le courant d’une tempête d’un seul coup de talon comme un homme-grenouille au fond d’une piscine déserte. Il couche un champ de blé en le caressant de l’index. Il ne faut pas qu’il souffle. Quand il se lève, mes cymbales sont des jupes autour de ses chevilles, il tire à lui les  corpuscules soyeux des eaux qu’il a pompées, il les enlève, il gonfle, il monte comme un soufflet dans un four brûlant, il rassemble les mouvements de l’air, il grossit, il densifie, il dilate à la mesure d’un Boeing sur le point de quitter la piste, il gondole, il renfle, il ronfle, il prend appui sur son train d’appui et il s’arrache, il décolle.
 
Céline Minard, scomparo, Les Ales, Cambourakis, 2011.
 
 
D’ailleurs je les ai vues – et entendues – toutes les deux, il y a déjà quelque temps, au Comptoir des Mots – et c’était mémorable.
Les Ales ? Ale veut savoir ce qu’ales sont ? Alors qu’ale aille donc voir , puis qu’ale aille à la librairie de son quartier et qu’ale réclame les Ales.
 
 

Commentaires

Bonjour,
C'est plus fort que moi, faut que je vous signale le 's' en trop à 'quelque' dans"il y a déjà quelques temps"

Voilà, c'est tout, ( vous pouvez effacer ce commentaire indélicat si vous le souhaitez )
Bien à vous.
Commentaire n°1 posté par Cédric le 07/10/2011 à 12h00
Flûte, à cause de vous je vais devoir frustrer l'Entrée des Sauvages. (Merci.)
Réponse de PhA le 07/10/2011 à 18h25
Brrr ! Peur ! Je pense à ce qu'on me disait quand j'étais gosse pour m'éloigner de la rivière, la Charente. Il y avait une vieille, ni femme ni bête, seulement une vieille, et j'aurais couru les plus graves dangers si je m'étais trop approché des berges. 
Commentaire n°2 posté par Dominique Boudou le 07/10/2011 à 12h13
Et je suis sûr que ce devait être une tentation terrible.
Réponse de PhA le 07/10/2011 à 18h26
J'adore ce "s". N'y touchez surtout pas. Je crois que ça va passer.
Commentaire n°3 posté par L'entrée des sauvages le 07/10/2011 à 14h24
Mince, il a déjà disparu !
Réponse de PhA le 07/10/2011 à 18h27