CLAUDE 18h30
Tu
veux savoir quoi ? Il y a soixante-deux jours aujourd’hui je suis parti
au bureau le matin, j’ai passé une journée
ordinaire, ni pire ni meilleure que les autres journées, il n’est
rien advenu d’extraordinaire dans le monde ce jour-là, ni même dans
l’espace : tu te souviens ? On a regardé des sites
d’astrophysique pour savoir s’il n’y avait pas eu un événement
cosmique, un alignement particulier de planètes ou l’explosion d'une
supernova.
Ma journée de travail achevée, je n’ai pas regardé l’heure, j’étais fatigué, je suis rentré chez moi. Je suis arrivé à 18h30
précises, et je suis tombé nez à nez avec moi-même, un autre moi-même, arrivé à 18 heures précises.
CLAUDE 19h
Et une demi-heure après je débarquais.
CLAUDE 18h30
Et une demi-heure après nous étions tous les trois à regarder la porte, terrifiés à l’idée de voir un quatrième nous-même
arriver, accrocher ses clés au clou comportant déjà trois trousseaux et nous regarder d’un air stupide.
CLAUDE 19h
Pourquoi ça s’est arrêté ? Pourquoi seulement trois ?
CLAUDE 18h30
Pourquoi ça s’est passé ? Pourquoi trois fois ? Des questions, on en avait tellement dès le premier soir qu’aucun de
nous n’est allé consoler Monika.
Eric Pessan, les
Inaboutis, Théâtre Ouvert, 2011, p. 39.
Comment vivre à deux quand soi-même on est trois ? Une de ces situations décalées et mystérieuses chères à Eric Pessan,
riches en questions – et au théâtre cette fois.
Un article de Laurence Cazaux dans le Matricule des Anges.
Une petite fille.